par Jean-Paul Briand
De plus en plus de personnes choisissent le mode de vie végan (https://www.magcentre.fr/185243-vous-avez-dit-veganisme/). Symbole de l’exploitation animale, toute alimentation carnée est rejetée dans le véganisme mais ce n’est pas qu’un régime alimentaire. C’est un mouvement social, politique et philosophique contemporain qui combat toutes les formes d’oppression et de souffrance à l’égard des animaux. Cette approche éthique de la vie animale peut-elle s’imposer en France ?
Dichotomie entre campagne et ville
L’urbanisation massive a modifié nos rapports aux animaux. Dans le monde rural, on les côtoie dès leur naissance, pendant leur croissance puis, pour les animaux d’élevage, sans état d’âme on les tue pour les manger. C’est un cycle banal et classique considéré comme naturel et ancestral. Dans les campagnes, si l’on y respecte habituellement l’animal, sa dimension affective est réduite, son rôle est essentiellement fonctionnel ou productif et sa mort, même donnée par l’homme, laisse généralement indifférent.
A contrario, dans les villes, pour de nombreux foyers, l’animal est l’objet d’une sollicitude individualisée liée à des sentiments affectifs. C’est un être protégé, choyé, toiletté et soigné. Sa mort est aussi douloureuse que pour un proche humain et peut entraîner un deuil éprouvant. Pour beaucoup de citadins la question se pose de savoir si l’on peut aimer les animaux tout en finissant par les tuer pour les manger ou pour en utiliser certaines parties. L’animal a pris une dimension émotionnelle telle qu’il ne peut plus être considéré comme un possible aliment. Les frontières de l’humanité et de l’animalité disparaissent progressivement et participent à la dichotomie entre campagne et ville.
Attaquer une partie de l’identité culturelle de la France
En France, la gastronomie est un bien commun incontournable, reconnu et inscrit depuis 2010 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO (https://ich.unesco.org/fr/RL/le-repas-gastronomique-des-francais-00437). Chez beaucoup de Français, le repas reste un moment qui met l’accent sur la convivialité, le partage, le plaisir du goût et l’harmonie entre l’humain et les productions de la nature, en particulier carnées. Toucher à la consommation de la viande remet en cause ce patrimoine culinaire.
La consommation de viande légitime l’élevage et l’exploitation des animaux de boucherie. L’industrie française de la viande est le 1er secteur agro-alimentaire et le 2ème employeur de cette filière. Ce sont les entreprises de préparation industrielle à base de viande qui dégagent le plus de valeur ajoutée de l’ensemble des industries alimentaires (https://www.insee.fr/fr/statistiques/3636392). Faire le procès de la consommation carnée, c’est combattre les grands groupes industriels, maîtres de la filière viande et de sa transformation mais aussi attaquer une partie de l’identité culturelle de la France.
« Qui trop embrasse mal étreint »
Après 10 mois de discussions parlementaires, la loi du 16 février 2015 a reconnu que l’animal était un « être vivant doué de sensibilité » . Le véganisme lutte contre les mauvais traitements et la mise à mort de tous les êtres sensibles. Ses disciples évitent tous produits et activités exploitant les animaux et excluent les aliments carnés. Il existe plusieurs profils végans. Un végan peut être l’avocat essentiellement engagé dans la défense de la cause animale. C’est parfois un activiste qui intègre le véganisme dans un projet politique où s’exprime son rejet global de la société de consommation et de toutes les oppressions. Il existe l’adepte qui est passé par le végétarisme puis le végétalisme, dans le but de protéger sa santé, avant de se convertir progressivement à la philosophie végane. Il y a le végan ascète, à la limite de la maladie anorexique, souvent usager convaincu des pata-médecines.
Avec apparitions des changements climatiques délétères, les problématiques environnementales, associant alimentation et impact sur la planète, sont devenues un mode d’entrée dans le véganisme. En dehors d’un effet mode ou d’une lubie pour certains, il existe donc plusieurs dimensions dans le véganisme. Elles peuvent être éthique et morale, hygiéniste et sanitaire, environnementale et politique, voire religieuse. Cette multitude de priorités est la faiblesse du véganisme. « Qui trop embrasse mal étreint ».
L’urgence climatique peut faire accepter le véganisme
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Pour le bien-être animal, une modification des règles de l’élevage industriel et de mise à mort est possible afin de ne pas faire souffrir et de satisfaire en partie les revendications de l’association L214 (https://www.l214.com). Ces mesures doivent être associées à une approche raisonnée et raisonnable de la consommation de viande telle que le prône le flexitarisme (https://fr.wikipedia.org/wiki/Flexitarisme).
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Si le véganisme est une facette des luttes historiques contre la domination, l’oppression, et l’exploitation, la cause animale ne pourra être entendue que lorsque le racisme, la pauvreté, l’accès à la santé, les inégalités femme/homme, les intolérances religieuses seront efficacement combattues.
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Si la principale exigence est le choix d’une alimentation sans produit d’origine animale, il n’est peut être pas nécessaire de faire du prosélytisme dogmatique. Laissons à chacun ses choix alimentaires, influencés par des facteurs socio-économiques, les saisons, les croyances religieuses, les habitudes culturelles, l’éducation, les préoccupations sanitaires et surtout le plaisir.
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L’argumentation environnementale est rationnelle et non négligeable. Dans son rapport le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a clairement indiqué que les choix alimentaires, incluant une réduction de la consommation de viande, avaient un impact positif sur les émissions de gaz à effet de serre.
Au delà des attaques frontales contre les carnistes (), d’un discours parfois moralisateur, culpabilisant et contre-productif, l’éthique végane doit pouvoir intégrer utilement la protection de notre planète. C’est l’urgence climatique avec sa dimension environnementale qui peuvent faire progressivement accepter le véganisme en France…
JPB