[Tribune] Par Jean-Paul Briand*
La participation électorale est le fondement de la légitimité des élus et de leurs décisions. D’un point de vue strictement légal, un taux très important d’abstention n’a pas d’effet sur le résultat d’un scrutin. Peu importe pour les élus qu’ils soient désignés par une très faible minorité.
Gouverner sans le peuple
Prenons pour exemple les dernières élections municipales et les cinq personnalités désormais à la tête d’Orléans-Métropole :
- Président : Christophe CHAILLOU – Maire de Saint-Jean de la Ruelle
Population : 16 298 habitants, élu avec 2 376 voix
- 1er vice-président : Serge GROUARD – Maire d’Orléans
Population : 114 782 habitants, élu avec 9 098 voix
- 2e vice-président : Alain TOUCHARD – Maire d’Ormes
Population : 4 093 habitants, élu avec 1 479 voix
- 3e vice-présidente : Carole CANETTE – Maire de Fleury-les-Aubrais
Population : 20 973 habitants, élue avec 2 014 voix
- 4e vice-présidente : Vanessa SLIMANI – Maire de Saint-Jean de Braye
Population : 20 376 habitants, élue avec 2 302 voix
Ainsi, ces cinq dirigeants ont obtenu l’agrément de 17 269 personnes sur un total des 5 communes de176 522 habitants. Même si tous les résidents recensés ne sont pas électeurs et au-delà des délétères et lamentables petits arrangement entre amis, avec l’assentiment de 9,78% de l’ensemble de la population, la gouvernance de la métropole se fera sans le peuple.
Typologie des abstentionnistes
Le coronavirus n’est pas le responsable. L’abstention augmente inexorablement depuis les années 1980 et contamine désormais les municipales. Si les abstentionnistes sont plus nombreux dans les milieux populaires et chez les jeunes, toutes les couches de la société sont touchées.
On distingue :
- L’abstention involontaire. Ce sont des électeurs dans l’impossibilité matérielle et imprévue d’aller voter et ceux qui sont non et mal-inscrits. D’après un récent rapport parlementaire, les non-inscrits et les mal-inscrits seraient 9,5 millions. Chez les non-inscrits, il existe une surreprésentation de non-diplômés et de Français nés à l’étranger. Un tiers des Français par naturalisation serait absent des listes électorales. Les mal-inscrits sont des personnes qui n’habitent plus auprès de leur bureau de vote et ce sont plutôt des diplômés et des actifs.
- L’abstention régulière : Pour certaines élections, des électeurs ignorent les urnes compte tenu de l’inconsistance de ceux qui se présentent et de la médiocrité de leurs propositions.
- Les abstentionnistes volontaires : Il existe des abstentionnistes qui font de l’abstention un acte militant de protestation ou de défiance vis à vis du monde politique. Parmi eux, on peut différencier : les « rationnels » qui, d’après Anthony Downs, renoncent à participer à tout scrutin car ils considèrent que la probabilité que leur vote influe sur les résultats est quasi nulle. Ceux qui se sentent durablement bafoués par les promesses d’avant scrutin qu’ils estiment pratiquement jamais tenues. Ceux qui veulent dénoncer, en s’abstenant, l’absence de projets crédibles pouvant réellement améliorer leur quotidien. Ceux qui considèrent que les résultats des votes ne sont pas respectés et prennent pour exemple le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen qui, malgré la victoire du NON, a été ratifié par le Parlement en 2008. Ceux qui n’attendent rien des hommes politiques car ils jugent que le véritable pouvoir est détenu par le monde de l’argent. Ceux qui déplorent que la démocratie soit confisquée par des professionnels de la politique qui s’arrangent entre eux et ne se renouvellent pas. Ceux qui n’ont plus confiance dans le personnel politique et pensent que beaucoup d’élus sont indignes de leur fonction, carriéristes, voire malhonnêtes et sans scrupule. Ces deux dernières catégories d’électeurs pratiquent couramment le « dégagisme » lorsqu’ils décident d’aller voter.
Le symptôme d’une maladie qui met en danger notre démocratie
Espérons que la représentation nationale cherchera les causes profondes de l’abstention et essayera d’y remédier. L’obligation du vote, avec ou sans sanction, doit être étudiée. Pour faire revenir le citoyen dans l’isoloir, de nouveaux modes de scrutins sont à envisager. Les procédures d’inscription ou de vote sont à simplifier. Pourquoi ne pas instituer une carte d’électeur, sur le modèle des cartes bancaires ou Vital, permettant de voter de chez soi, dans toute mairie ou dans un bureau de tabac, quel que soit le lieu où l’on est ?
Qu’un élu le soit avec moins de 10% de la population du territoire qu’il aura à administrer ne paraît pas beaucoup le troubler. Force est de constater que les partis politiques semblent également se satisfaire de cette situation. Même si c’est le symptôme d’une maladie qui met en danger notre démocratie, une fois élus, tous ces cagots démocrates s’accommodent parfaitement des taux excessifs d’abstention : « Honores mutant mores » (Les honneurs changent les moeurs).
*Jean-Paul Briand a exercé comme médecin généraliste pendant près de 40 ans dans le quartier de l’Argonne. Il fut l’un des responsables de la formation post universitaire des médecins généralistes de la région Centre Val de Loire et représentant de sa profession au sein de l’ARS et de l’URPS.