L’entreprise blésoise qui fabrique des tuyauteries souples de haute technologie pour le secteur de l’aviation illustre les difficultés de l’industrie mais aussi des pratiques sociales d’un autre temps. Unilatéralement et sans procédure, elle veut imposer à ses salariés de se délocaliser dans la Sarthe !
Tecalemit Aerospace ©Magcentre
Quand les 112 salariés ont appris il y a 10 jours que leur entreprise allait quitter Blois pour assurer sa production dans la petite ville de Luceau située à 100 km de là, où Tecalemit possède une unité rachetée il y a 2 ans à Daher, ils sont tombés des nues. Grand seigneur, leur employeur leur proposait de mettre à disposition gratuitement un bus chaque matin pour rejoindre leur poste, cela pendant 18 mois et avec un temps de trajet décompté du temps de travail.
Incompréhension d’autant plus grande comme l’explique Yoann Pirou, secrétaire du CSE que « les salariés accomplissaient des efforts importants de productivité et surtout que rien ne laissait présager un tel scénario sur le plan des résultats économiques mis à part huit licenciements économiques récents ».
Les salariés de Tecalemit Aerospace lors du rassemblement du 9 juillet 2020. ©Magcentre
Au-delà, c’est bien la méthode qui dérange car elle s’exonère délibérément des règles du droit du travail concernant les licenciements économiques : procédures d’information et consultation du CSE et éventuellement, si les difficultés économiques sont confirmées, mise en place d’un Plan de sauvegarde de l’emploi avec des mesures d’accompagnement en termes d’indemnités et de reclassement.
« Cela s’apparente à des licenciements économiques déguisés puisque les salariés qui ne voudraient pas de cette solution seraient amenés à démissionner ou, en cas de refus, à être licenciés pour faute. L’inspection du travail a du reste confirmé le non-respect du cadre légal », nous précise Didier Calvo co-secrétaire de l’UD CGT 41.
« L’entreprise a une responsabilité sociale à assumer vis-à-vis des salariés et doit des comptes au territoire comme à ses sous-traitants », insiste un autre syndicaliste en présentant la possibilité pour le CSE de recourir à un expert pour analyser la situation financière de l’entreprise.
Chasse aux aides publiques
Le projet est d’autant plus grave que Tecalemit a été soutenue financièrement par des fonds publics, que ce soit par des fonds européens FEDER, des aides de l’Agglomération, du Département et de la Région Centre-Val de Loire (dont un CAP emploi-formation de 105 450 € en février 2019, correspondant à un programme qui était censé porter jusqu’à la fin de l’année 2020).
Face à cette stratégie, les salariés ne veulent pas en rester-là. « Nous allons nous battre pour éviter cette délocalisation en proposant des solutions de continuité et un autre projet industriel. Notre site et ses salariés possèdent un savoir-faire qu’il ne faut pas perdre », défend Yoann Pirou. Ils pourraient aussi faire appel à l’avocat Fiodor Rilov qui a gagné le procès des ex-Goodyear d’Amiens. (1)
Reçu par Marc Gricourt, maire de Blois et Christophe Degruelle, président de l’Agglo, les salariés envisagent également de faire pression sur la direction pour qu’elle revienne sur sa décision, ou, au pire, négocie un PSE. Le 10 juillet, une action de rassemblement du personnel devant l’usine blésoise était organisée. Précédant un CSE, elle a été largement suivie.
En tout état de cause comme le précise Sébastien Boulanger de la CGT, « d’autres solutions comme le dispositif d’activité partielle de longue durée pour limiter autant que possible les licenciements économiques, qui est par exemple utilisé chez SAFRAN à Issoudun, existe. Pourquoi la direction n’utilise-t-elle pas les moyens mis en place par le gouvernement et les partenaires sociaux ? »
MC
(1)Goodyear a été condamnée pour le licenciement abusif de 832 salariés de son usine d’Amiens-Nord sur la base des bénéfices d’exploitation mondiaux du groupe Goodyear s’élevant à l’époque à 1,7 milliards d’euros.
Les écologistes vent debout
Charles Fournier et Sandrine Tricot, conseillers régionaux écologistes, élus du Loir-et-Cher ont immédiatement réagi à l’annonce s’insurgeant contre cette délocalisation sauvage et apportant leur soutien aux salariés qui se mobilisent pour refuser d’être déplacés vers une autre Région, alors que leur vie et celle de leur famille se trouvent dans l’agglomération blésoise.
« L’argent public est plus utile pour accompagner les transitions que pour servir des logiques de délocalisation ! Si Tecalemit Aerospace devait confirmer son départ de Blois, nous exigerions qu’elle rembourse les aides publiques touchées en Centre-Val de Loire au titre de l’activité de cette usine », déclare Charles Fournier.
Ce dernier argumente : « si les difficultés des industries liées au secteur aéronautique ont été accrues par la pandémie de Covid-19, la crise à laquelle elles sont confrontées vient de plus loin. Elle nécessite de reconsidérer notre approche du rôle de l’avion dans nos sociétés et donc à repenser non seulement sa fonction, mais aussi les filières d’emplois qui en dépendent. Préparer la diversification de ces entreprises est une nécessité ». L’appareil productif de Tecalemit Aerospace pourrait ainsi viser d’autre clients que le secteur aérien.
Pour les écologistes, ce n’est pas en aidant massivement les entreprises et les sous-traitants du transport aérien, sans les amener à une conversion totale ou partielle de leur activité, qu’on sauvera à terme les PME et les milliers d’emplois d’un secteur fragilisé et qui va devoir se réinventer.
C’est au contraire en préparant méthodiquement la transformation des lignes de production, en aidant à la recherche de nouveaux marchés plus écologiques et en finançant des filières de formation qui permettront de nouveaux parcours professionnels.
MC