Le 30 octobre 2018, pour la première fois en France, un prêtre, Pierre de Castelet, et un évêque, André Fort, sont jugés conjointement au tribunal correctionnel d’Orléans. Le premier pour des actes de pédocriminalité, le second pour avoir omis de les dénoncer. Les peines tombent un mois plus tard : trois ans de prison dont un an de sursis pour l’abbé Castelet et huit mois avec sursis pour l’ancien évêque d’Orléans. En 2019 et 2020, Lyon devient à son tour l‘épicentre judiciaire des affaires de pédocriminalité dans l’Église avec le très médiatisé procès du Cardinal Barbarin, suivi de celui de l’ex-prêtre Bernard Preynat. Ces procès ont eu le mérite de mettre fin au silence assourdissant de l’Église catholique qui étouffait toutes ces affaires depuis trop longtemps. Notre consœur journaliste Sophie Deschamps, revient sur ces procès hautement symboliques et donne la parole aux victimes, à qui elle dédie son livre, Le Silence des soutanes, sorti en librairie le 10 juin 2020.
Sophie Deschamps, auteure du livre Le Silence des soutanes, sorti le 11 juin 2020 (ed. Regain de lecture). ©Elodie Cerqueira
Le Silence des soutanes, sorti en librairie le 10 juin 2020, retrace l’histoire du procès orléanais du 30 octobre 2018 de pédocriminalité dans l’Église. Pourquoi avoir écrit sur cette histoire ?
Sophie Deschamps : À l’époque, je suis toujours journaliste radio chez RCF. Le procès commence à 13h30 et se termine à 22 heures avec une interruption d’une demi-heure. Et je n’ai qu’une minute trente d’antenne pour en rendre compte ! Je suis frustrée car je n’ai que très peu de temps d’antenne et je me retrouve avec une matière considérable puisque j’avais un carnet de notes rempli qui allaient être perdues. Pourtant c’était une première en France, un prêtre et un évêque jugés conjointement. Immédiatement je me dis qu’il y a un quelque chose à faire… Le soir même du procès, j’avais déjà envie d’écrire sur cette histoire.
Au-delà du procès, vous souhaitez avant tout donner la parole aux victimes…
S.D. : Oui car je suis sortie de ce procès écœurée. À l’entrée du tribunal j’ai vu des gens de l’évêché qui m’ont dit venir pour soutenir l’évêque. Et les victimes ? leur ai-je demandé…Oui les victimes mais on vient surtout pour l’évêque, ont-ils répondu. J’ai pris une vraie claque !
Et les victimes se sont confiées…
S.D. : J’ai contacté Olivier Savignac, une des victimes, pour lui expliquer mon projet. Il m’a de suite fait confiance. Quand j’ai décidé d’écrire cette histoire, j’ai voulu faire un portrait des victimes. Je me suis dit qu’il fallait l’incarner ce procès et qu’Olivier allait parler au nom de toutes les victimes. J’ai laissé dire à mes victimes la dénonciation, la souffrance, les témoignages… ce livre leur est dédié.
L’écriture de ce livre se passe à un moment charnière de votre carrière professionnelle. Pouvez-vous nous en dire plus ?
S.D. : En effet, le 31 janvier 2019, j’ai quitté RCF et pour la première fois je dispose d’un luxe dont j’ai longtemps été privée : du temps ! Dès le 1er février je suis allée m’acheter une imprimante et un stylo plume. Parce que ça participait de ce désir d’écrire et de passer du micro à la plume… J’ai travaillé sur tous les comptes-rendus et je trouvais intéressant de voir comment cette affaire était traitée journalistiquement, dans La Croix, Libération, l’Humanité. Entre temps je me suis replongée dans des lectures portant sur ce sujet. J’ai revisionné l’émission de Cash investigation de 2015. Et il y avait plein de choses qui sortaient à ce moment-là : le film Grâce à Dieu le 22 février et en mars le documentaire Arte sur les religieuses abusées. Ça n’arrêtait pas ! Durant les quatre mois où j’écris le livre il y a de l’info tous les jours.
Vous dîtes qu’en écrivant très vite vous vous interrogez sur l’après…
S.D. : Oui, lors de l’écriture très vite je pense à une troisième partie qui interroge sur ce qu’il y a à faire maintenant. Qu’est-ce qu’on peut mener comme chantier pour que les choses changent ? Car ça ne se passe pas que dans l’Église, il y a le monde du sport, l’Éducation nationale… Le débat doit être assumé. Ce qui m’intéresse c’est comment on essaie de vivre tous ensemble, je suis plus sur les valeurs humanistes que religieuses. Une Église qui prêche d’un côté et fait totalement l’inverse de l’autre, ce n’est pas possible !
Votre livre a-t-il été bien reçu ?
S.D. : Oui ! J’ai été très encouragée dans ma démarche même par l’évêque Jacques Blaquart à qui j’ai écrit une lettre pour l’informer de mon projet.
Outre le travail journalistique, ce livre est aussi le résultat de votre passion pour l’écriture…
S.D. : Complètement ! Ecrire un livre répond à une envie que je nourris depuis très longtemps, il me manquait le bon sujet. Une fois j’ai eu envie d’écrire au sujet des enfants sans papier, il y a une dizaine d’années mais je manquais de confiance. Depuis j’ai acquis une certaine maturité, je songe d’ailleurs à écrire un polar…
Propos recueillis par Elodie Cerqueira
Le Silence des soutanes, Pédocriminalité dans l’Église – Sophie Deschamps
Préface de Jean-Pierre Sueur -Editions Regain de lecture – 248 pages – 18 €
Pour Info :
Retrouvez Sophie sur les ondes de France Bleu Orléans le 24 juin à 7h45 !