Traces locales d’un homme d’État. Jean Zay l’Orléanais #1

De l’adolescent orléanais d’autrefois au député radicalement ancré

Assassiné le 20 juin 1944 par la Milice du gouvernement de Vichy, Jean Zay a été, à l’instar de François Mauriac à Bordeaux, Un adolescent d’autrefois, ancré dans sa terre natale.

 

Jean Zay, assassiné le 20 juin 1944. DR

« Je suis né à Orléans et j’ai passé là-bas toute ma jeunesse. J’ai donc à Orléans toute ma famille et, vous le devinez, mes amis les plus chers. (…) J’ai passé mon enfance entre une salle de rédaction et une imprimerie…Le journalisme se confond avec mes premiers et plus anciens souvenirs. (…) Le journal de mon père était un journal politique, c’est vous dire que je n’ai jamais commencé à faire de la politique. J’ai vécu dans cette atmosphère et je crois bien avoir tenu ma première réunion publique à l’âge de quatorze ans ! (…) J’ai épousé une jeune fille d’Orléans que j’ai d’ailleurs connue toute petite…une amie d’enfance, et j’ai le plaisir d’être depuis quelques mois le papa d’une jolie petite fille qui s’appelle Catherine. (…) Je suis papa avant d’être ministre, et il m’arrive d’aller moi-même pousser la voiture de ma petite Catherine lorsque sa maman la promène : et je ne trouve pas ça inavouable ! ». 

L’interview de Jean Zay par Emmanuel Berl et Jean Nohain en 1937, destinée à présenter le plus jeune ministre, ami de la radio, aux auditeurs « sans-filistes », nous frappe par les références de Jean Zay à sa ville d’Orléans. Et il en est de même quelques mois plus tôt quand évoquant son innovation de classes d’orientation professionnelle, il précise aux journalistes : « J’ai voulu rompre avec la dangereuse habitude de promulguer des lois sans savoir si la théorie sera confirmée par la pratique. (…) J’ai d’ailleurs voulu que l’expérience fût faite dans ma petite patrie. Ainsi je pourrai la suivre de près et confronter à bon escient les résultats obtenus à Orléans avec ceux qu’on obtiendra ailleurs ». 

N’est-ce pas un paradoxe que de prétendre ramener un homme d’État à sa terre natale alors qu’il l’a quittée pour rejoindre le Panthéon des grands hommes et la reconnaissance de la nation tout entière ? Jean Zay, dans sa pensée et son action, est très loin de cultiver les intérêts de clocher, fonds de commerce d’élus clientélistes. Mais son attachement à Orléans, à ses rues, à ses habitants n’a jamais faibli, y compris dans ses écrits de captivité, de Souvenirs et solitude à sa correspondance. Et depuis son assassinat le 20 juin 1944, sa veuve Madeleine, ses filles, Catherine et Hélène, ses Amis et le Cercle qui porte son nom ont cultivé ce lien local, tardivement relayé par le discours officiel des municipalités orléanaises depuis 1989. En 1994, à l’occasion du cinquantenaire de son assassinat par la Milice, Antoine Prost soulignait le contraste entre son impressionnant bilan et sa « place modeste et secondaire dans notre mémoire politique », excepté au sein de cercles militants de l’école publique.

Une terre d’élection reconnue, facteur aggravant de la détestation antisémite

Son grand-père paternel, Elias Zay, venu des « provinces perdues », opte pour s’installer définitivement dans l’Orléanais dans cette Beauce et ce Val de Loire d’où viennent les ancêtres maternels protestants de Jean Zay, les agriculteurs Chartrain et les viticulteurs Maingourd. Cet ancrage est mis en avant dès les législatives de 1932, pour anticiper sur la campagne de dénigrement qui tente de le présenter comme un intellectuel hors-sol, un produit de la République honnie des avocats, des francs-maçons, des juifs et des protestants, « l’anti-France » vue par Maurras et par le réactionnaire Journal du Loiret. Ainsi tous les éléments de l’ignoble « Je vous Zay » célinien sont en place dès 1932, chaque élément d’ancrage local ne fait que renforcer la haine dont il est la cible, et concentre sur lui tracts orduriers, campagne de presse mensongère, jalousie envers une réussite politique insolente : il est jeune, d’une éloquence guêpine, trop Orléanais !

Le couple de ses parents incarne la France républicaine et progressiste de la Belle époque, Léon Zay, juif laïc, est rédacteur en chef du Progrès du Loiret, et son épouse Alice Chartrain est institutrice. Secrétaire du conseil des Prud’hommes, Léon Zay est très présent dans la vie orléanaise. Lui rendant hommage en 1945, lorsqu’il meurt du chagrin du martyr de son fils, Roger Secrétain salue « quarante années de vigilance républicaine, de campagnes politiques faites pour le succès des autres (…) quarante années de la vie de cette cité, surprise à toutes ses sources, dans tous ses aspects, sachant tout, apprenant tout, partout présent, infatigable ». Quarante années, la courte vie de son fils, la quarantaine qui va de la dégradation de Dreyfus à l’assassinat de Jean Zay le 20 juin 1944.  

Écolier rue des Charretiers, il rédige des journaux de guerre, manière de rester en contact avec son père mobilisé, et il relate en ces termes l’annonce de l’Armistice à Orléans : « À midi, Orléans était pavoisé bien plus complètement qu’aux jours de fête ordinaire. Dès le matin, les lycéens allèrent planter des drapeaux sur le cheval de Jeanne d’Arc et jusque sur la tête du sauveur d’Orléans ». Cet enfant de guerre se passionne pour la politique et exprime son dégoût des atrocités allemandes sur les civils.

Boursier au lycée d’Orléans, Jean Zay y fonde l’hebdomadaire Le Potache bouillant et participe aux joutes oratoires de la salle Hardouineau avant de faire paraître en 1925 Le Grenier, revue littéraire avant-gardiste avec le « groupe des jeunes » de ses amis Marcel Abraham, René Berthelot, Roger Secrétain, « éphèbes attendris que l’acné ronge comme un remords », puis Le Mail sous le patronage de l’aîné admiré, Maurice Genevoix, qui lui rendra bientôt une visite définitive au Panthéon. Il y rédige des chroniques mensuelles à l’ironie guêpine, spécialité locale entre le cotignac et le vinaigre, à laquelle il ajoute l’art du portrait des « silhouettes orléanaises » et le sens de la formule dans ses critiques littéraires, « Vauvenargues républicain » selon Herriot, la figure très classique du journaliste-éditorialiste-écrivain-avocat-député.

Jeunesses laïques et républicaines, Jeunes turcs, Jeunes radicaux, les groupes politiques qu’il anime sont tous placés sous le signe du renouvellement nécessaire de la République parlementaire, dans son personnel comme dans ses pratiques. À l’instar de son ami Mendès, ou à la Libération de Chaban ou Debré, le paradoxe consiste à s’inscrire dans le vieux parti de France, dans ce radicalisme dont l’essentiel du programme initial est entré en application, des libertés à l’impôt sur le revenu. Sans doute l’héritage paternel joue-t-il dans ce choix, tant Léon Zay, entré en journalisme avec l’Affaire en 1899, adoubé pour diriger le radical Progrès du Loiret par le docteur Halmagrand et Rabier.   

Rêvant d’écriture et de journalisme, jeune Orléanais dans une France vieillie et endeuillée, il fait son droit à Paris, mais garde son lien avec Orléans : journaliste au Progrès pour financer ses études, puis avocat au barreau de la ville en 1928, plaidant à 24 ans au civil et aux Assises, passionné de droit et ayant foi en la Justice.

Son initiation en 1926 à la loge Étienne Dolet conforte encore son lien avec les milieux progressistes orléanais, et son mariage se fait naturellement au Temple par alliance avec Madeleine Dreux, issue d’une famille protestante ayant pignon sur la rue des Carmes. Jeune député, il revient à la loge orléanaise faire une conférence sur l’histoire des théories socialistes utopiques, du saint-simonisme à Fourier et Blanqui, et sur le solidarisme.

Son engagement politique est ancré dans le territoire : adhérent du parti radical dès 21 ans, il s’attache à faire renaître la section d’Orléans des Jeunesses Laïques et Républicaines sous le haut patronage d’Anatole France. Cette base lui sert de tremplin lors des législatives de 1932, socle qu’il conforte en mars 1937 par son siège de conseiller général d’Orléans-Nord-Est. Jean Zay préside le déjeuner festif de la compagnie des hommes d’affaires d’Orléans et du Loiret, répond aux sollicitations sans sectarisme et participe à la promotion du territoire en contribuant au numéro spécial de l’Illustration financière consacré à la sous-région économique de l’Orléanais.

Il soutient la Confédération nationale des groupements horticoles que préside Rabier et dont le premier vice-président est le sénateur-maire d’Orléans Eugène Turbat. Il manifeste la même attention bienveillante aux sollicitations des ouvriers de la manufacture de tabac, à la chambre de commerce, aux artisans, aux viticulteurs, aux cheminots ou aux secrétaires de mairie-instituteurs. 

Un député emblématique : le jeune ténor radical face à la haine

Le 28 mars 1933, l’incident oppose Pétain, inspecteur général de la Défense aérienne du Territoire, venu à Orléans faire une conférence sur la défense passive, au député du Loiret, qui s’opposera en vain trois ans en 1939 à sa nomination à l’ambassade de Madrid auprès de Franco. Le préfet André Jozon a naturellement convié l’ensemble des autorités civiles, sans compter sur l’antiparlementarisme primaire du vieux maréchal. Dans le couloir du conseil général, le préfet explique au maréchal les dispositions prises : « Je me suis placé à votre droite. J’ai mis le maire à votre gauche ; à ma droite, le député de la circonscription… » Le maréchal l’interrompt : mais les députés n’ont rien à voir dans cette affaire-là… ». Et de dire à Jean Zay : « Vous n’êtes pas maire ? […] Vous n’avez qu’à vous mêler à la foule ».

Dès le lendemain, le député et le préfet se rendent au ministère de la Guerre où Daladier assure de toute sa sympathie Jean Zay. L’Action française vitupère contre le « député laïque élu par la grâce des communistes de Fleury-aux-choux », alors que L’œuvre s’insurge de l’affront fait à la représentation nationale. Le jeune député s’impose comme l’étoile montante du parti radical au congrès de Vichy, sur la nécessaire restauration de l’autorité républicaine. L’Action Française éructe contre ce « juif levantin qu’on dirait débarqué hier de Palestine pour donner des leçons au gouvernement français ». Dans L’Écho de Pithiviers, Jacques Lebeauceron (sic) raille « l’Israélite M. Jean Zay », hostile à l’union nationale, « patriote qui s’ignore. Précisons : patriote français qui s’ignore ».

Jean Zay laboure son sillon régional et ne néglige aucune manifestation de promotion de l’Orléanais, à différentes échelles : ville, canton, circonscription, département et même région économique Clementel. À Orléans, il use de son statut d’enfant du pays pour associer ses souvenirs personnels aux discours classiques de fin de banquet, de remise des prix au conservatoire de musique ou au lycée. Il participe à la valorisation de l’image économique, humaine et touristique du département. Mais Jean Zay reste toujours politique, et sa présentation du Loiret associe aux charmes diversifiés du Val, de la Beauce et de la Sologne la douceur de l’équilibre d’un département « assurément l’un des plus républicains de France [où] le parti radical représente très exactement l’opinion moyenne ». Militant progressiste, il affronte même la question si délicate pour les radicaux du vote des femmes. À rebours de ses aînés, il plaide pour l’avènement du vrai suffrage universel et, en avocat méthodique, balaie les arguties qui s’y opposeraient, du service militaire au cléricalisme. Avoir une mère institutrice, une sœur artiste proche de Forain et une épouse intelligente et déterminée a dû compter.

Pierre Allorant

Pour aller plus loin :

  • Jean Zay, Souvenirs et solitude, Talus d’Approche, 1987.
  • Jean Zay, Écrits de prison. 1940-1944, Belin, 2014.
  • Olivier Loubes, Jean Zay. L’inconnu de la République, Armand Colin, 2012.
  • Olivier Loubes, « Jean Zay à Orléans », in Pierre Allorant (dir.), 250 Lieux, personnages, moments. Patrimoine en Beauce, Berry, Gâtinais, Perche, Sologne, Touraine, PUFR de Tours, 2018, p. 443-446.
  • Pierre Allorant, Gabriel Bergounioux et Pascal Cordereix, Jean Zay. Invention, Reconnaissance, Postérité, PUFR de Tours, 2015.
  • Canevas de l’interview de Jean Zay par Emmanuel Berl et Jean Nohain, le mercredi 10 février 1937. Archives nationales, 667/AP/56S.
  • Simson et Georges Normandy, Le « Petit reporter », Vedettes en pyjama, « Monsieur Jean Zay, le plus jeune des ministres de la République débuta dans le journalisme à dix ans …par une lettre ouverte au général Gallieni », p. 1-2. Archives nationales, 667/AP/56.

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