Coronavirus oblige, cet été les Français vont passer leurs vacances dans l’hexagone, autrement dit dans nos chères provinces. Ah ! Les bons produits, la gastronomie et par là-dessus notre patrimoine, l’air pur que l’on emmagasine au cours de promenades dans des sites à vous couper le souffle. Tout cela est bel et bon à prendre. Les Français vont découvrir ou redécouvrir la France dans sa diversité. Tous les média s’en félicitent et débordent de suggestions. Ils les proposent avec l’accent français de bon ton quand ce n’est pas avec force anglicismes.
Dans ce bel étalage ils oublient les savoureux accents de nos régions et les mots imagés nés de nos terroirs. Autrement dit, ils sont atteints de glottophobie, discrimination fondée sur le langage et certains accents régionaux. Mag’Centre s’en est ému et quand, sous la houlette des éditions Michel Lafon, les journalistes Jean-Michel Aphatie, éditorialiste à LCI, et Michel Feltin-Palas, rédacteur en chef à L’Express ont décidé de consacrer un livre à ce problème et Mag’Centre s’est joint à eux trouvant que le sujet méritait d’entrer dans l’actualité.
J’ai un accent, et alors ?
J’ai un accent, et alors ? Le titre du livre claque comme un défi à la glottophobie. Cet été risque de lui porter un sérieux coup et le livre de servir de base à des débats animés à l’apéro sur fond de pastis. Accent d’ici contre accent d’ailleurs sans parler d’accent en transit et d’accent de retour légèrement transformé la glottophobie étant au cœur du débat. Imaginons ce mot rarissime dans le vocabulaire courant surgissant dans la conversation : « glotto quoi ? phobie d’accord mais glotto ? Gloup Gloup… ! ». Le terme glottophobie est un néologisme pour discrimination linguistique, forgé par le sociolinguiste et professeur à l’université de Rennes 2, Philippe Blanchet, pour désigner les discriminations linguistiques de toutes sortes, le mépris, la haine, l’agression, le rejet, l’exclusion, la discrimination négative dont sont victimes des personnes.
Ignorée, la glottophobie peut se révéler douloureuse lorsqu’on la subit. Le premier sondage de l’ifop consacré à ce sujet le montre clairement. La moitié des Français avoue une diction régionale « un peu »,« assez » ou « très marquée ». Les ouvriers plus que les cadres : 57 % des premiers, 41 % des seconds. Les habitants du Nord-Pas-de Calais (84 %), de Midi-Pyrénées (83 %) et de Franche-Comté (78 %), bien davantage que ceux du Centre-Val de Loire (21%), des Pays de la Loire (23 %), de Poitou-Charentes (25%) et de Bretagne (31%). 84% en Provence-Alpes-Côte d’Azur ce qui est surprenant au premier abord.
« Il s’agit d’un territoire qui attire beaucoup d’“immigrés de l’intérieur” », analyse Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop. Sur les 33 millions de Français ayant conservé des intonations de leur terroir, 27 % essuient des moqueries, « souvent » ou «de temps en temps », dans leur vie quotidienne. Ce pourcentage grimpe à 60 % chez les tenants des prononciations les plus typées. Dans leur environnement professionnel, ils ne sont pas toujours épargnés : 16% des sondés disent avoir été victimes de discriminations lors d’un concours, d’un examen ou d’un entretien d’embauche. La discrimination professionnelle par l’accent touche plutôt les hommes (20%), les moins de 35 ans (27%) et les cadres (36%). « A l’embauche, elle est assumée par les employeurs qui la trouvent parfaitement justifiée, comme s’il existait une bonne façon de parler le français et des mauvaises », s’insurgent les auteurs.
Cachez cet accent qu’on ne saurait entendre
Des interviews réalisés pour le livre confirment les résultats de l’enquête sur laquelle se sont appuyés les auteurs, les éditions Michel Lafon et Mag’Centre . La Berrichonne Patricia Darré attribue la disparition des accents régionaux à l’envahissement de celui « orthodoxe et conforme », distillé par les radios et les télés qui rependent dans tout le pays celui que pratiquent les sphères de pouvoir.
Certes mais les accents qui parlent autant que les mots des langues régionales ont la vie dure et le livre en est la preuve. Leurs défenseurs sont nombreux. Le succès du musicien auteur-compositeur-interprète, Alan Stivell qui a exporté le Breton jusqu’aux Etats-Unis en est la parfaite illustration. L’ancien directeur du Tour de France Jean-Marie Leblanc démontre avec passion quelle perte ce serait si on envoyait aux oubliettes ce lien si profond et instinctif par lequel on se reconnait être entre soi. Le député (LREM) de l’Hérault Christophe Euzet, juriste mi-sétois, mi-catalan, a déposé une proposition de loi « visant à promouvoir la France des accents avec pour objectif d’inscrire ces particularismes de diction sur la liste des fondements de la discrimination, dans le Code pénal et dans celui du travail ».
Il y a et il y aura des oppositions mais on peut leur objecter la remarque de Francis Laffont : « tout bilinguisme est un enrichissement, une ouverture d’esprit. En tuant une langue, on ne fait pas seulement disparaître une manière de communiquer, mais une culture, forte souvent d’une très belle littérature. »
Françoise Cariès
J’ai un accent, et alors ?
Jean-Michel Apathie, Michel Feltin-Palas
Editions Michel Lafon
218 pages, 17 euros