En attendant la réouverture des salles de spectacle, on peut déjà se régaler avec de nouveaux livres, romans, essais mais aussi des récits de vie. C’est le cas de l’ouvrage de Francis Oliver, Ma maison Freinet, enseignants au quotidien -1960-1980. Ce livre témoigne de la richesse de cette méthode pédagogique qui donne à l’enfant l’occasion d’exprimer toutes ses qualités créatives en lui laissant une grande liberté. C’est aussi le récit d’un instituteur, Francis Oliver, qui dérouté et épuisé après son retour d’Algérie (après l’indépendance) se retrouve dans la position de Monsieur Jourdain, c’est-à-dire qu’i va appliquer cette méthode de façon empirique (avec l’accord de Célestino Freinet) auprès d’élèves en grande difficulté et ça marche grâce notamment aux fameux ateliers. C’est aussi, et ça n’est pas le moins important, le récit d’une aventure collective engagée entre enfants et adultes dans le Loiret. Ce collectif qui est le gage de la réussite de cette pédagogie nouvelle, dont il faudrait aujourd’hui appliquer les principes à notre vie si particulière où nous avons besoin, plus que jamais, de nous serrer les coudes. Et d’écouter, les oreilles grandes ouvertes, ces enseignants novateurs.
Classe de Francis Oliver © DR
Francis Oliver, pouvez-vous nous résumer en quelques phrases les principes de la méthode Freinet et ce qu’elle a de “révolutionnaire” par rapport à l’enseignement classique ?
Francis Oliver, jeune enseignant Freinet
F.O : Pour une enseignante, un enseignant Freinet, l’enfant est une personne à part entière qui peut prendre en charge un travail, une responsabilité, comme le ferait un(e) adulte. Elle, il a envie de faire quelque chose qui lui permettra d’avoir confiance en elle, en lui, qui lui permettra d’être reconnu(e) par les autres, de mettre en valeur ses compétences. Freinet montre que cette attitude, ce type de relation avec l’enfant se met en place non pas en le disant, mais en le faisant. Travailler ensemble concrètement est l’outil de base à la fois pour que l’élève s’approprie les tâches qu’il a choisi de réaliser, c’est son projet, et pour qu’elle, il s’entraîne à travailler avec d’autres élèves de la classe ou extérieurs, correspondants notamment. Le rôle de l’enseignant(e) est essentiel bien sûr, son suivi individualisé des chantiers en cours, sa connaissance des enfants, le respect, l’écoute qu’elle, il leur porte, la mise à disposition des outils, d’une organisation qui permette d’adapter les projets aux besoins, aux possibilités des enfants… Suivant les âges, le moment, le lieu, l’évolution des techniques, les outils à disposition, les projets seront différents.
Cette méthode est-elle encore en vigueur dans les écoles et collèges aujourd’hui et a t-elle inspirée d’autres courants pédagogiques?
F.O :La pédagogie Freinet est très présente aujourd’hui en France et dans le monde, les congrès, les rassemblements internationaux sont très suivis. C’est l’ICEM, institut coopératif de l’école moderne, qui rassemble, coordonne les actions des enseignant(e)s Freinet.
Enfin quels « conseils » pourriez-vous donner à un-e jeune enseignant-e confronté-e- à cet enseignement post-confinement ? Y voyez-vous une opportunité de revenir à plus de coopération et moins de compétition dans notre société en général et à l’école en particulier?
Francis Oliver aujourd’hui © DR
Après des bouleversements comme ceux que nous vivons en ce moment avec les périodes de confinement, des évolutions apparaissent possibles dans nos rapports humains, dans la conception même de la formation d’individus responsables. Ce livre met en lumière des types de comportement qui rendent possibles une prise en charge par les acteurs eux-mêmes, adultes et enfants, d’une autre façon de concevoir et réaliser notre propre formation. « Il est réconfortant dans les périodes de notre vie où tout semble bloqué de savoir que des itinéraires improbables, tels que ceux présentés dans ce livre, peuvent voir le jour. » Un ancien élève, cinquante ans après avoir travaillé dans ma classe, écrit : « La confrontation entre actions et réflexions a toujours été au cœur de mes différentes évolutions professionnelles. Cette envie constante d’apprendre et surtout de comprendre pour ne pas subir, est le fruit d’un enseignement que j’ai eu la chance d’avoir de la part d’un instituteur qui utilisait des outils pédagogiques inspirés de la méthode Freinet fondée sur l’initiative amenant vers une liberté raisonnée et la maturité de l’enfant. »
Propos recueillis par Sophie Deschamps