L’Orléanais, terre de juristes. Ici, c’est le droit #13 Berthélemy

Par Pierre Allorant*

Berthélémy, du Loir-et-Cher à la faculté de droit de Paris via Lyon. Un administrativiste conservateur.

Henry Berthélémy, né le 3 décembre 1857 à Oucques (Loir-et-Cher), fils d’un agent des contributions indirectes, mort à Paris le 4 septembre 1943, est professeur de droit administratif à la faculté de droit de Paris durant près de quatre décennies, de l’affaire Dreyfus à la crise des années trente (de 1896 à 1933). À l’inverse de ses prédécesseurs dans cette galerie de portraits de juristes, Berthélémy, natif de l’Orléanais, n’a pas d’autre lien avec la ville ou l’université d’Orléans, mais il a marqué des générations d’enseignants et de chercheurs en droit administratif.

L’école pratique des Contributions et du Parquet avant la thèse

Commis de la Régie des Contributions indirectes de 1875 à 1879 à l’instar de son père, puis attaché au parquet de la Cour de Cassation en 1881 auprès du procureur général Bertauld, futur député, qui l’encourage à poursuivre ses études de droit, il soutient, dès 1882, à 25 ans, ses deux thèses pour le doctorat, une en droit romain : De la condition des enfants illégitimes, l’autre en droit français : De l’aliénation des meubles par les administrateurs légaux de la fortune d’autrui.

Un Agrégé engagé pour la protection de l’enfance à Lyon

Reçu à 27 ans à l’Agrégation des Facultés de droit en 1884, dans le même concours que Léon Duguit et Maurice Hauriou, Henry Berthélémy est nommé professeur de droit à Lyon, il publie sur Le sauvetage des enfants moralement abandonnés (1890), sur L’enfance et le patronage des libérés (1891), et sur Le rôle économique de l’assistance par le travail (1892), en lien avec ses engagements philanthropiques dans les œuvres de relèvement moral. Élu en 1892 adjoint au maire de Lyon, le docteur Antoine Gailleton, vainqueur du socialiste Victor Augagneur, il organise la coopération de la bienfaisance privée et de l’assistance publique. Nommé membre de la commission de surveillance des prisons du Rhône par le préfet Jules Cambon, il s’insurge contre les conditions de détention des enfants et s’engage dans le relèvement des jeunes délinquants.

« Les étudiants chez M. Berthélemy », le 1er avril 1925. Photographie de presse/Agence Rol

 

37 ans de droit administratif et 12 années de décanat à Paris

Battu aux élections législatives, il quitte Lyon pour la capitale. Nommé en 1896 professeur de droit administratif à l’université de Paris, en remplacement de Ducrocq, il analyse Le Pouvoir réglementaire du Président de la République et Les Poursuites contre les fonctionnaires pour actes accomplis à l’occasion de leurs fonctions (1898). Travaillant sur la fiscalité indirecte des octrois, qu’il connaît par la pratique, il présente ses travaux devant le comité de l’Alliance républicaine du VIe arrondissement, parti modéré de centre-droit. 

Un haut fonctionnaire influent

Rédacteur en 1900 d’un grand Traité élémentaire de droit administratif, puis auteur d’un utile Recueil des lois et règlements administratifs d’application usuelle, Berthélémy se saisit de la question en vogue de la décentralisation régionale, relancée par les travaux des géographes, par les propositions de Clemenceau et les critiques de Maurras, avec sa préface à l’Essai sur le gouvernement local en Angleterre de Jenks, Sommes-nous condamnés à la centralisation perpétuelle ? (1901). Commentant l’actualité législative et réglementaire, le conflit entre l’Église catholique et l’État ne peut échapper à ses commentaires avec Les Inventaires des biens des fabriques. (1906). Familier des hauts fonctionnaires et des élus républicains, Berthélémy, membre suppléant du Tribunal des Conflits, accumule les responsabilités en siégeant au Comité du contentieux au ministère de l’Instruction publique (vice-président), au Comité consultatif de la Préfecture de la Seine, au Comité consultatif du contentieux du ministère des Finances et au comité du contentieux du ministère de l’Intérieur.

Le pourfendeur du secret médical au nom de la répression de l’avortement

Durant la Grande Guerre, Henry Berthélémy travaille sur les questions économiques posées par le rôle accru de l’État dans la mobilisation économique et la protection sociale, avec La réquisition des hôtels par le Service de santé militaire (1915), puis Les Pupilles de la patrie (1916) . Les préoccupations morales et familialistes conservatrices le conduisent à publier son rapport remis en 1917 à la Société générale des prisons : De la Répression de l’avortement criminel.  Président de plusieurs sociétés savantes (Société d’études législatives, Société de médecine légale de France), il est le fer de lance du combat répressif contre l’avortement et pour la restriction du secret médical, justifiant cette rupture juridique par la nécessité de combattre « le fléau qui décime le pays » : la dénatalité.

Dans l’entre-deux-guerres, les réformes, à objectif de réductions budgétaires, menées par Raymond Poincaré attirent son regard avec Les Réformes administratives et judiciaires de 1926.

Un administrativiste conservateur

Son approche du droit administratif reste très classique, descriptive (le plan de son Traité évoque l’Organisation administrative, puis l’Action administrative, enfin la Justice administrative), voire à contre-courant de ses contemporains : il défend la naturelle contractuelle et non statutaire de la fonction publique, néglige l’apport de la notion de service public de Léon Duguit et repousse toute ouverture du droit administratif sur d’autres sciences sociales.

Élu à l’Académie des sciences morales et politiques dès 1919 contre le doyen Larnaude, Berthélémy est élu doyen de la Faculté de droit de Paris le 16 novembre 1922 et réélu jusqu’à sa retraite en 1933. En 1925, lors de l’affaire Georges Scelle, il est suspendu, puis réintégré, de son décanat en raison de son refus de faire intervenir les forces de l’ordre contre les étudiants d’Action française qui occupent la faculté pour protester contre la nomination d’un professeur de gauche, apôtre du pacifisme juridique et membre de la Commission du droit international de la Société des Nations.

Professeur émérite, Berthélémy publie encore en 1938 Cinq ans de réformes administratives, 1933-1938, du gouvernement de « Concorde nationale » de Gaston Doumergue, qu’il avait appelée de ses vœux dans son dernier article dans la Revue politique et parlementaire, au gouvernement Daladier.

Pour aller plus loin :

  • Archives nationales, AJ16 5868, Académie de Paris. Dossiers de personnels enseignants et administratifs nés entre 1870 et 1905.
  • Léon Julliot de la Morandière, « Notice sur la vie et les travaux d’Henry Berthélemy », in Publications de l’Institut de France, séance du 13 mai 1957, n° 7.
  • Grégoire Bigot, « Henry Berthélémy », in Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin et Jacques Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français XIIe-XXe siècles, 2007, p. 102-103.
  • Grégoire Bigot, « Henry Berthélémy ou la tradition du libéral-étatisme », in Le renouveau de la doctrine française, 2009, p. 199-213.
  • Guillaume Richard, Enseigner le droit public à Paris sous la Troisième République, thèse de droit Paris X-Nanterre, 2013, « Nouvelle bibliothèque des thèses », Dalloz, 950 p., Prix André Isoré de la Chancellerie des Universités de Paris, 2015.


*Pierre-Allorant est historien et juriste, doyen de la faculté de droit, économie et gestion d’Orléans, vice-président du CESER Centre-Val de Loire, chargé de l’Ensei
gnement Supérieur, de la Recherche et du Sport.

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