Avec la Loi Avia, la liberté d’expression en chute libre

[Tribune] Par Jean-Noël Cuénod*

Malgré son nom, la Loi Avia ne fait planer personne. Pour la liberté d’expression, il s’agirait plutôt d’une chute libre sans parachute. En voulant lutter contre la haine sur internet, cette loi  – définitivement acceptée par le parlement – va stériliser les débats, notamment sur les religions. Ce texte représente l’exemple-type de loi qui aboutit à l’opposé du but poursuivi.

Si vous cherchez une représentation tangible de l’expression « l’enfer est pavé de bonnes intentions », la Loi Avia – du nom de la députée macroniste de Paris VIIIe Lætitia Avia qui l’a rédigée – viendra désormais à votre secours.

Quel esprit sensé et sensible pourrait s’attaquer à une loi qui veut contraindre les plateformes d’expression en ligne à ne plus déverser des torrents d’ordures racistes, antisémites, homophobes, sexistes, pédocriminels ? En effet, nous cyberpataugeons chaque jour dans cette fange pestilentielle. Ah quel bonheur d’en être débarrassé ! Mais, Ventre Saint-Gris, pas à n’importe quel prix ! Pas au point de faire exploser en plein vol la liberté d’expression !

La Loi Avia, une forme de censure préalable

A quoi ressemble-t-elle, cette loi ? En cliquant sur ce lien vous disposerez du texte officiel complet. Première conséquence funeste et gravissime de ce texte : il rétablit dans le droit une forme de censure préalable, supprimée en France par la loi sur la presse de 1881 et reprise uniquement en tant de guerre, surtout par le régime de Pétain entre 1940 et 1944. En obligeant les plateformes d’expression en ligne de retirer en 24 heures les contenus illicites (voire en une heure pour les contenus à caractère terroriste ou pédopornographique !), la Lex Avia transforme les plateformes en juges pouvant, selon des critères flous, décider souverainement de ce qui est publiable et de ce qui ne l’est pas.

Cela contrevient de façon grossière à l’anéantissement de ce principe de base de toute loi sur la presse d’inspiration démocratique : l’expression est libre en amont, quitte à ce que son auteur subisse des poursuites en aval en cas de diffamation ou de calomnie ou autres infractions de ce genre.

Par conséquent, les plateformes devront engager des juristes censeurs qui seront poussés à faire du zèle afin d’éviter tout risque, même minime, de poursuites. En outre, ces plateformes étant en règle générale d’origine anglo-saxonne, elles appliqueront leurs propres critères culturels au détriment de notre conception de la liberté d’expression. Transformer Twitter, Facebook et autres à devenir l’arbitre des débats français et européens, c’est bien dans l’idéologie macronienne de la « Start-up nation ».

Atteinte manifeste à la laïcité et retour du blasphème

L’autre caractéristique mortifère de la Lex Avia relève de son aspect fourre-tout. Elle mélange dans un nauséeux gloubiboulga, le négationnisme, le terrorisme, le racisme, la pédocriminalité, la pornographie, le harcèlement sexuel, la provocation à la haine, etc.

A la faveur de ce maquis législatif, des pièges se cachent ; cette disposition nous en donne un exemple. Elle réprime la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Critiquer des citations du Coran, remettre en cause la Trinité ou s’attaquer à tel ou tel dogme religieux sera perçu par certains comme relevant d’une « provocation à la haine ou à la discrimination » contre les fidèles de la confession concernée. Dès lors, les plus radicaux de ces religieux ne manqueront pas de prendre pour arme la Loi Avia. Dans une certaine mesure, elle réinstalle en France le délit de blasphème. Ce texte contrevient donc manifestement à la laïcité définie par la Loi de 1905 et garantie par la Constitution française.

Loi Avia, stérilisatrice des débats

Autre grief d’importance : la Lex Avia constitue une atteinte à la liberté de débattre sans laquelle aucune démocratie n’est possible. La crainte du censeur va immanquablement revenir comme aux pires moments de notre Histoire européenne. Elle entraînera ce qu’elle a toujours causé, à savoir la stérilisation des débats. Les opinions tièdes et conformistes seront largement diffusées et celles des anticonformistes seront réprimées. Or, ce sont le plus souvent ces dernières qui font avancer la société.

Une loi d’infantilisation qui va à fin contraire des buts poursuivis

La Lex Avia participe aussi à l’infantilisation de la société, qui est d’ailleurs la marque du gouvernement français, notamment dans sa conduite des mesures contre le coronavirus. Le citoyen n’est plus considéré comme un être fait de conscience et de raison mais comme un irresponsable auquel il convient de choisir pour lui ce qu’il peut lire, voir ou écouter.

Personne ne remet en cause la légitimité de la lutte contre les provocations à la haine qui polluent la Toile. Mais il ne faut pas jeter la liberté d’expression avec l’eau sale du bain. Cette lutte doit être menée sur la place publique, dans les réseaux sociaux pour porter la contradiction, démonter les infox, réduire à merci les arguments racistes ou homophobes, en donnant, s’il le faut, les moyens nécessaires pour ce faire à des groupes citoyens d’intervention antiracistes ou antihomophobes.

En fait, la Lex Avia va, au contraire, nimber les faiseurs de haine de l’auréole séduisante des martyrs. Elle fera donc effet contraire.

En outre, ce texte fait partie d’un ensemble de lois liberticides prises sous l’impulsion de la présidence d’Emmanuel Macron, notamment avec un autre texte fourre-tout, la Loi sur le terrorisme. Sans oublier les dispositions sur l’urgence sanitaire. L’autocratie macronienne devient tentaculaire.

La Loi Avia empêchera de remonter les filières de la cyberhaine

La journaliste Zineb El Rhazoui a démontré un autre effet pervers de la Loi Avia. Régulièrement menacée de mort pour ses prises de position en faveur de la laïcité, cette ancienne de Charlie Hebdo vit désormais sous protection policière. Au micro de France-Info, le 10 juillet 2019, elle a notamment expliqué à propos de ce texte, alors à l’état de projet examiné par le parlement :

Cette loi ne règlera rien. Elle risque de compliquer davantage les choses pour nous, les personnes qui font face à ce problème, mais aussi pour la police qui doit enquêter. C’est une catastrophe si ces contenus sont retirés sous 24 heures. Comment voulez-vous qu’on remonte aux auteurs de ces contenus qui ont été supprimés ?

Un cadeau pour l’extrême-droite

Le parti LREM n’a pas eu besoin de se creuser la cervelle pendant longtemps pour pondre ce texte. Elle est la copie conforme de la loi allemande NetzDG  du 1er octobre 2017. En juillet 2019, Le Figaro évoquait un sondage réalisé par Institut für Demoskopie Allensbach qui démontrait, entre autres, que depuis l’application de cette loi limitant en Allemagne la liberté d’expression, « il est de moins en moins possible d’exprimer son opinion dans l’espace public allemand, que des lois non écrites tracent une frontière de plus en plus imperméable entre les opinions socialement acceptables et les opinions qu’il convient de réserver à la seule sphère domestique » (le texte de l’article est disponible ici).

Doit-on attribuer à NetzDG  les spectaculaires progrès électoraux de l’extrême-droite allemande depuis ces dernières années? Impossible d’apporter une réponse unique à une question aussi complexe. Notons toutefois que cette loi allemande limitant la liberté d’expression n’a élevé aucune digue contre la vague brune.

Lorsque des sujets tabous comme la place de l’islam dans les pays européens ou l’immigration ne sont plus ou beaucoup moins abordés, cela ne signifie pas qu’ils ont disparu par la magie d’une loi. Ils prennent, au contraire, une place fantasmatique et démesurée au sein de l’opinion. Une grande partie du peuple devient ainsi perméable aux infox, aux présentations falsifiées de ces questions qui, loi « anti-haine » ou non, continuent à courir. Et à pourrir les esprits. Comme les débats sont stérilisés, il devient malaisé de combattre cette propagande de l’ombre. Et dans l’isoloir, l’électeur est induit à se venger de ce « politiquement correct » devenu « juridiquement correct » en portant son choix vers les candidats du pire.

Un espoir subsiste

La Lex Avia, c’est une sorte de bombe nucléaire qui viserait un foyer criminel en embrasant tout un pays. Le pire avec ce texte pervers, c’est que le foyer criminel en sortira indemne alors que le reste du pays risque fort de ne pas s’en remettre.

Il reste encore un répit avant l’application de la Loi Avia. Elle sera préalablement examinée par le Conseil constitutionnel qui a été saisi par le groupe LR au Sénat. Espérons que les magistrats feront preuve de cette sagesse et de ce discernement qui ont singulièrement manqué à la majorité de l’Assemblée nationale.


*Jean-Noël Cuénod est écrivain et journaliste libre Paris-Léman, rédacteur en chef de La Cité. Auteur du blog Un plouc chez les bobos.

 

Commentaires

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  1. 100% d’accord. L’inculture et l’absence de vision de ce gouvernement sont effarants !

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