[Tribune] Par Jean-Pierre Delpuech*
La Slovaquie est peu connue, mal située sur la carte de l’Europe, ignorée même comme membre de l’Union européenne depuis 2004. C’est pourtant un bien joli pays né de la partition malheureuse de la Tchécoslovaquie en 1993. Sa géographie rappelle la Suisse mais nous sommes bien dans le monde slave. C’est pour le ministère du tourisme slovaque le Little Big Country. Nous avons eu l’occasion de l’évoquer ici à plusieurs reprises et sur différents sujets comme celui de la liberté de la presse.
Bratislava, capitale de la Slovaquie. DR
Dans une tribune récente, nous avions noté que « la pandémie que nous traversons aujourd’hui se traduit par une crise sanitaire que les États du monde affrontent avec plus ou moins de revers. » Il nous a semblé instructif de mettre en lumière les raisons pour lesquelles ce petit pays fait figure d’heureuse exception quant aux conséquences de l’épidémie que le monde doit affronter. La Slovaquie ne déplore en effet à ce jour (1) que 28 morts de la Covid-19, un drame national…
Le plus faible taux de mortalité par habitant de toute l’Europe !
La Slovaquie compte 5,4 millions d’habitants ; c’est une démocratie parlementaire avec comme présidente, une femme, Zuzana Čaputová, élue en mars 2019. Comment ce petit pays a-t-il affronté l’épidémie provoquée par le nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2, et pourquoi dénombre-t-il fort heureusement si peu de victimes de la Covid-19 ? Ces questions doivent être posées ; elles nous permettront peut-être de mieux comprendre pour quelles raisons d’autres nations comptent un si grand nombre de victimes. Rappelons qu’en cette mi-mai 2020 (2), la France déplore 27 529 décès, Le Royaume-Uni 33 998, l’Italie 31 610, l’Espagne 27 459. Au contraire, d’autres peuples ont été beaucoup moins touchés, comme au Portugal, 1 190 décès, en Grèce 162, et en Slovaquie 28. Y aurait-il des spécificités à souligner, un exemple dont il faudrait s’inspirer ? Tâchons d’y voir plus clair…
Un pays bien peu isolé…
On serait tenté de penser, une fois le pays convenablement situé sur une carte, que sa localisation et ses faibles connections avec l’étranger l’auraient protégé de ce virus meurtrier. Il n’en n’est rien. Des centaines de milliers de Slovaques travaillent ailleurs en Europe comme saisonniers, expatriés – ils sont très nombreux en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Autriche. Ainsi, dans ce pays voisin, ils sont plus de 20 000 à franchir chaque jour la frontière pour aller y exercer, souvent dans des maisons de retraite. Les étudiants slovaques sont les plus enclins au sein de l’Union européenne à choisir des universités étrangères pour y étudier. Enfin, les contacts avec l’Italie, si proche, et si durement infectée, furent très nombreux pendant la deuxième moitié de février et au début mars comme l’attestent les données collectées par les opérateurs de radiotéléphonie. Le pays est donc très largement ouvert sur l’étranger et les contacts avec l’extérieur sont nombreux !
Masques pour tous, confinement, et liberté de circulation
Quel est donc le secret slovaque ? Il semble y avoir deux raisons principales. Tout d’abord, le gouvernement slovaque prit la décision du confinement le 16 mars, soit dix jours seulement après la confirmation du premier cas décelé dans le pays. Les mesures de confinement impliquaient la fermeture de toutes les écoles, des restaurants, des bars et des magasins, sauf les magasins d’alimentation. Le pays ferma ses frontières immédiatement (le 12 mars) et imposa à ses ressortissants qui voulaient regagner le territoire national de sévères mesures de quarantaine diligentées par la police. Toutefois, à l’inverse d’autres pays, les déplacements individuels ne furent que partiellement restreints. La liberté fondamentale de circulation demeura dans un périmètre départemental, les « okres ». Les Slovaques se plièrent de bonne grâce à ces mesures.
Un famille slovaque de Bratislava, les Cagáň. DR
Ensuite, et surtout, l’usage des masques fut immédiatement promu, par les médias en particulier, et ce en dépit des recommandations de l’OMS. Le 13 mars, la journaliste et star du 20h Zlatica Puškárová apparaissait à l’écran le visage protégé par un masque. Sur le plateau, le Premier ministre Igor Matovič et son ministre de la santé Marek Krajčí étaient ses invités pour évoquer l’épidémie. Elle leur demanda pourquoi ils ne montraient pas l’exemple et leur tendit deux masques qu’ils portèrent immédiatement. Le lendemain, tout le pays se mettait à l’ouvrage pour fabriquer des masques alternatifs. Pouvait-on imaginer de meilleure pédagogie par l’exemple ? Par la suite, on ne vit plus jamais en public un politique, un reporter ou une célébrité sans son masque ! La Présidente même donnait l’exemple en s’affichant avec son gouvernement élégamment vêtue d’un masque assorti à sa robe ! Nous étions le 21 mars…
La leçon slovaque
Le gouvernement slovaque assouplit ses mesures de confinement à partir du 22 avril à mesure que les cas de contamination répertoriés diminuaient, permit la réouverture des magasins, des restaurants et des hôtels le 6 mai.
En Slovaquie, les écoles demeureront a priori fermées jusqu’en septembre et les bars et restaurants ne peuvent assurer que les ventes à emporter mais la vie a repris dans ce « petit grand pays » qui vient, outre de protéger sa population, de donner une remarquable leçon de civisme sanitaire à toute l’Europe, et peut-être une leçon de politique…
(1) Nombre de décès liés à la Covid-19 en Slovaquie au 16 mai 2020.
(2) Nombre de décès liés à la Covid-19 dans ces pays au 16 mai 2020.
*Jean-Pierre Delpuech est professeur d’histoire-géographie, ancien directeur éditorial des Éditions Infimes. Il est le chef de file du MoDem pour les élections municipales à Orléans.