Sophie Deschamps © GP
Chères lectrices et chers lecteurs de Magcentre,
Face au confinement imposé à la France depuis le 17 mars, j’ai décidé d’écrire un journal de bord pour y exprimer, jour après jour, mon ressenti face à cette situation inédite qui nous oblige à réfléchir et surtout à revoir nos priorités. Vous y trouverez au fil de l’eau des infos pratiques en tous genres, selon l’humeur des conseils de sites, de lecture ou de cuisine ainsi que des coups de cœur ou des coups de gueule selon l’actualité du coronavirus. Mais surtout restons solidaires et zen les uns envers les autre
Merci pour vos commentaires et vos encouragements, continuez vous aussi !
#restezchezvous
Autoportrait Edward Hopper, 1925-1930 © SD
Parmi nos artistes contemporains, le célèbre peintre américain Edward Hopper (1882-1967) est sûrement l’un de ceux qui nous tend un miroir lucide de notre condition humaine.
En ces temps d’injonction de réussite où « il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi », Edward Hopper nous donne à voir une société où la solitude domine depuis le règne de l’industrie et de la consommation de masse (cf la chanson Les villes de grande solitude de Michel Sardou en 1973). En effet, ses toiles sont remplies de femmes et d’hommes à l’air triste, qui ne se parlent ni ne se regardent mais dans lesquels on peut aisément se reconnaître. Ainsi, cette femme lisant dans un compartiment de train cossu alors qu’au dehors la nuit tombe ou cet homme assis derrière son bureau et contemplant l’immeuble d’en face, ignorant la pureté du bleu du ciel au-dessus de sa tête
Compartment C, Car 293, 1938, Edward Hopper © SD
People in the sun, Edward Hopper, 1960 © SD
Office in a small city, Edward Hopper, 1953 © SD
Mais même quand ils sont ensemble , les humains restent incapables de communiquer entre eux, perdus dans leurs pensées comme dans “People in the Sun” ou son célèbre tableau “Nighthawks” (Les Noctambules)
Nighthawks (Les Noctambules) Edward Hopper, 1942 © SD
Par ailleurs, si on regarde un peu plus attentivement les toiles, le sentiment de familiarité fait peu à peu place à un sentiment de malaise tant chaque humain représenté semble confiné et enfermé dans sa solitude. Il y a aussi parfois du voyeurisme dans l’air quand la scène s’apparente à une photo volée, prise depuis l’immeuble d’en face mais où rien d’extraordinaire ne se passe comme ce tableau où un homme lit son journal d’un air concentré tandis qu’une femme, installée de travers au piano effleure les touches d’un air mélancolique.
Room in New-York, Edward Hopper, 1932 © SD
Cet instant de vie capté par le pinceau d’Edward Hopper nous raconte aussi une histoire et rien ne nous empêche, même si la toile a été peinte en 1932, d’imaginer qu’elle raconte comment nos voisins s’occupent durant le confinement. Ou devrais-je dire plutôt ont du mal à s’occuper, tant la femme a l’air de s’ennuyer, malgré l’apparente réussite sociale suggérée par l’intérieur soigné de la pièce et les vêtements du couple. Quant à l’homme, il découvre peut-être le nombre de morts quotidien à New-York et les difficultés à venir du déconfinement.
Le peintre nous suggère aussi que la tristesse et la solitude viennent de ce que nous nous enfermons, volontairement ou non, dans de petits appartements de grandes villes comme Paris et New-York, en délaissant la campagne et la nature, alors qu’elles seules comptent vraiment et peuvent nos apporter joie et liberté. Du coup, les petites bourgades de province, abandonnées, deviennent elles aussi ennuyeuses à souhait comme ce pompiste qui semble attendre en vain les automobilistes.
Gas (Station-service), Edward Hopper, 1940 © SD
Toutefois, les humains occupent la plupart du temps une toute petite place sur les toiles d’Edward Hopper. Le peintre semble nous indiquer que la nature, les paysages et les éléments comptent beaucoup plus que nous, qui ne sommes que de passage sur cette planète, comme le rappelle cruellement actuellement le Covid-19. Il est plus que temps de se rappeler ce beau proverbe indien « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ». A nous de faire preuve d’humilité et d’en prendre soin si nous voulons continuer à profiter de ce qu’elle nous offre, gratuitement.
Lee Shore (côte sous le vent) Edward Hopper, 1941 © SD
C’est ce que nous suggère cette oeuvre, qui là encore, pourrait nous raconter notre week-end du premier mai ou de Pentecôte avec les joies simples d’une grande balade en bord de mer, ou sur un bateau à voiles, alors que nous sommes confinés dans la maison de droite, mais sans la vue sur le grand large.
A demain
Toutes les photos des tableaux d’Edward Hopper présentées dans ce article sont tirées du hors-série Télérama : “Edward Hopper au grand palais”, 2012)