L’Orléanais, terre de juristes. Ici, c’est le droit #8 Malesherbes

Malesherbes, un magistrat libéral, de la censure à la défense de Louis XVI (1721-1794)

Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans et historien

Né le 6 décembre 1721 à Paris, issu de l’une des plus grandes familles de robe, fils du chancelier Guillaume de Lamoignon, Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes est élevé chez les jésuites de Louis-le-Grand et bénéficie d’une solide formation juridique auprès de l’abbé Pucelle. Ce magistrat de haute lignée va mener de pair, de 1741 à sa condamnation à mort et son exécution le 21 avril 1794, une carrière marquée par le libéralisme, la tolérance politique et religieuse, la tentative de préserver « l’alliance des mœurs des sages et des mœurs du siècle ».

De 1771 à 1774 au moment de la répression de la rébellion des parlements, puis à nouveau de 1789 à son arrestation en décembre 1793, Malesherbes se retire à Malesherbes, en exil intérieur sur ses terres du Gâtinais, à la limite du département du Loiret et de la forêt de Fontainebleau.

C’est dans son château de Malesherbes qu’il rédige la plupart de ses écrits politiques, rassemble des archives et prépare ses réformes. C’est là, dans son parc, qu’il herborise et plante des espèces exotiques, mélèze, érable à sucre, cerisier de Sainte-Lucie. Juriste, il est aussi agronome et communique à la Société royale d’agriculture sur défrichements et amélioration des rendements. C’est aussi au château de Malesherbes qu’il est arrêté en 1793 avec sa fille, ses deux petites-filles et le mari de l’une d’elle, frère de Chateaubriand, tous guillotinés.

Le protecteur tolérant de la République des lettres

Entré dans la magistrature comme substitut du procureur général du parlement de Paris, Malesherbes est rapidement doté d’une charge tout en suivant les cours de botanique de Jussieu. Son père étant chancelier lui délègue la première présidence de la cour des aides et l’administration de la librairie, à savoir l’autorisation donnée à la publication des ouvrages. Dans cette fonction, il se fait le protecteur tolérant de la République des lettres, bridant la censure et publiant cinq Mémoires sur la librairie, multipliant les autorisations tacites qui protègent éditeurs et auteurs.

 

À la faveur de la publication de l’Encyclopédie, alors qu’un arrêt du conseil du roi du 7 février 1752 interdit les deux volumes déjà parus, Malesherbes au lieu de saisir les manuscrits suivants, cache à son domicile les nouveaux volumes afin de sauver cette entreprise littéraire, et renouvelle sa protection aux encyclopédistes et à la philosophie des Lumières en accordant le privilège de publication au Recueil des planches 1759. S’il échoue à protéger De l’Esprit d’Helvétius, il facilite la publication de La théorie de l’impôt du physiocrate Mirabeau en 1760, puis protège l’importation de La Nouvelle Héloïse publiée à Amsterdam, et la parution de L’Émile de Jean-Jacques Rousseau en 1763. 

Un magistrat populaire par ses remontrances à la monarchie absolutiste

À la tête de la Cour des aides, Malesherbes lance une véritable offensive intellectuelle contre les abus et erreurs fiscales et administratives de la monarchie absolutiste. Cette campagne lui vaut une grande popularité dans l’opinion éclairée, occupant deux décennies durant la place politique laissée vide par l’absence de convocation des États généraux. Moins polémique que la fronde des parlements, l’attaque est plus technique et précise à l’encontre de l’autoritarisme des intendants et de leurs subdélégués, de l’arbitraire des lettres de cachet et des procédures judiciaires, des inégalités fiscales dues à la perception du vingtième et à la répartition de la taille. Reprenant les thèmes des Lumières, le droit au bonheur, le contrat social implicite entre le roi et la nation, Malesherbes critique la suspension du parlement de Paris et en appelle dès 1771 à la convocation des États généraux, positions qui lui valent son exil intérieur dans le Gâtinais jusqu’à son rétablissement en 1775 à la tête de la Cour des aides. Ses « Grandes remontrances » du 6 mai 1775, soutenues par le ministre réformateur physiocrate Turgot, préconisent une vaste réforme administrative et fiscale, mais ne peuvent être publiées.

Un physiocrate voyageur défenseur des minorités protestante et juive

Triomphalement élu à l’Académie française en 1775, Malesherbes accepte le secrétariat d’État à la Maison du roi où il prépare une réforme pénale et un projet d’état-civil au bénéfice des protestants, privés de personnalité juridique. Les critiques des parlements et le manque de soutien de Louis XVI le déterminent à démissionner et à voyager de l’Italie à la Hollande en passant par la Suisse. Ce regard comparé le renforce dans son libéralisme et son souci de tolérance religieuse. Rappelé au gouvernement par le réformateur Loménie de Brienne c’est Malesherbes qui porte l’édit de Tolérance de novembre 1787 en faveur des protestants, succès qui encourage Louis XVI à lui demander d’étendre cette politique aux juifs. Son isolement au sein du conseil du roi le conduit à la démission en août 1788, tout en publiant un Mémoire sur les juifs et un Mémoire sur la liberté de la presse. Critiquant la surreprésentation des ordres privilégiés, Malesherbes conseille au roi, à la veille de la Révolution, d’accepter une monarchie constitutionnelle contrôlée par une assemblée nationale.

Le sacrifice du défenseur de Louis XVI

S’il se tient à l’écart sous la Révolution française, il reste fidèle à ses convictions monarchistes et libérales. Il se propose pour défendre Louis XVI avec Trochet de Sèze à la barre de la Convention, et se charge de rassembler les archives des décisions du pouvoir pour contrer l’acte d’accusation. Il demande que le vote de condamnation soit confirmé par un appel à la nation. Après la condamnation et l’exécution du roi, il se refuse à émigrer, ce qui cause sa perte, la Convention ne lui pardonnant pas son audace. Il est arrêté avec sa famille au château de Malesherbes le 17 décembre 1793, pour « avoir conspiré contre l’unité de la République », et guillotiné le 21 avril 1794.

Salué par Chateaubriand pour ses « vertus antiques et opinions nouvelles » et par Sainte-Beuve comme « homme des anciens jours qui aurait voulu maintenir, régénérer, reformuler », Malesherbes est célébré sous la Restauration par une statue monumentale de Jacques-Edmée Dumont dans la salle des pas perdus du Palais de Justice de Paris. Le boulevard Malesherbes traverse les 8e et 17e arrondissements de Paris. Derrière le président du Sénat, une des sept statues monumentales de l’hémicycle du Luxembourg représente Malesherbes. Les Palais de Justice de Bordeaux et de Tarbes sont ornés d’une statue de Malesherbes. La place Malesherbes à Paris a été renommée place du général Catroux.

Pierre Allorant

Pour aller plus loin :

  • Élisabeth Badinter, Les remontrances de Malesherbes, Tallandier, 2008.
  • Emmanuel Fureix, La France des larmes. Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840), Champ Vallon, 2013.
  • Christine Mengès-Le Pape, « Malesherbes », in Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin et Jacques Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français XIIe-XXe siècle, PUF, « Quadrige », 2015, p. 688-689.
  • Claude Michaud, « Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes », in Pierre Allorant, 250 Lieux, personnages moments. Patrimoine en Beauce, Berry, Gâtinais, Perche, Sologne, Touraine, PUFR, 2018, p. 357-359.

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