L’Orléanais, terre de juristes. Ici, c’est le droit #7 Dupanloup

Félix Dupanloup, un Savoyard évêque et député d’Orléans (1802-1878)

Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans et historien

Mais que vient donc faire dans cette galerie de portraits de juristes orléanais ce prélat natif de Savoie ? À l’heure où églises et cathédrales, y compris Sainte-Croix d’Orléans, sont exceptionnellement vides de fidèles, l’esprit de Pâques serait-il descendu sur cette chronique du mail, ce billet d’un confinement prolongé par Quinzaine, comme pour paraphraser Péguy ?

Loin de toute raillerie anticléricale héritée des chansonnettes guêpines de la République radicale, du type Le Père Dupanloup, ce prélat très politique a toute sa place dans cette série comme en témoigne sa présence dans le Dictionnaire historique des juristes (XIIe-XXe siècle) qui fait autorité. S’intéresser à Mgr Dupanloup, c’est aussi, un an après l’incendie de Notre-Dame de Paris dont il fut chanoine, commencer à appréhender les fêtes de Jeanne d’Arc 2020, si particulières, qui auraient dû débuter bientôt, célébrant le centenaire de la canonisation et du premier invité officiel du maire (le maréchal Foch), mais que la nouvelle « grippe espagnole », venue de Wuhan cent ans après le traité de Sèvres, a contraint de reporter en octobre. 

Un clerc intellectuel, pédagogue et éloquent

Né le 3 janvier 1802 à Lacombe en Savoie, mort à Villard en Isère le 11 octobre 1878, Félix-Antoine-Philibert Dupanloup, né comme Hugo lorsque « ce siècle avait deux ans », est d’emblée entouré d’un secret, celui de sa naissance, de père inconnu, probablement de milieu aristocratique, ce qui expliquerait les hautes protections dont il bénéficie. Fils naturel d’une paysanne et d’un ouvrier tailleur qui se rétracte dans sa reconnaissance de paternité, Dupanloup est protégé par Mgr de Quélen, par le duc abbé de Rohan et par des familles bourgeoises. Il étudie au collège Sainte-Barbe puis s’oriente vers la carrière ecclésiastique au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, puis à Saint-Sulpice et à Issy.

Nommé vicaire de la Madeleine, il jouit d’une réputation de pédagogue qui le fait choisir comme précepteur du duc de Bordeaux puis des princes d’Orléans. Il obtient la rétractation de Talleyrand sur son lit de mort en avril 1838 avant d’exceller dans la réforme pédagogique de Saint-Nicolas-du-Chardonnet dont il fait le creuset des élites.  

Chanoine de Notre-Dame, instigateur de la loi Falloux et chef du parti religieux à l’Académie française 

Chargé du cours d’éloquence sacrée à la Sorbonne, Dupanloup obtient son doctorat en théologie à Rome en 1841 en soutenant une thèse relative à l’infaillibilité pontificale. S’il est avant tout théologien voire philosophe, Dupanloup intéresse les juristes par ses combats politiques. Il s’engage activement derrière son ami angevin le comte de Falloux et défend la liberté de l’enseignement avec Montalembert et Lacordaire.

Nommé par Mgr d’Affre chanoine de Notre-Dame, Dupanloup est membre de la commission extra-parlementaire présidée par Thiers au début de la Seconde République et qui aboutit à la loi Falloux de 1850 qui favorise à la fois la liberté de l’enseignement et l’influence dominante des évêques sur l’enseignement public. Passionné d’éducation, il publie beaucoup sur les petits séminaires, le respect dans l’éducation et le principe de liberté de l’enseignement, l’éducation des filles et le mariage.

Élu à l’Académie française en mai 1854, il y devient le chef du parti clérical, pourfendant la candidature de l’agnostique Émile Littré, de Taine et de Renan.

L’évêque d’Orléans. Trente ans au service de la canonisation de Jeanne d’Arc

Nommé évêque d’Orléans en 1849, il est l’un des premiers évêques à s’intéresser de près à la qualité du catéchisme en diligentant une enquête auprès des curés de son diocèse, puis en en rédigeant un. Il milite activement en faveur de la reconnaissance des mérites de Jeanne d’Arc à laquelle il consacre deux panégyriques en 1855 et 1869 qui appellent à sa canonisation.

À Orléans, sa position vis-à-vis du régime impérial évolue au gré de la politique italienne, avec un net refroidissement dès lors que Napoléon III soutient l’unité autour de Cavour au détriment des prétentions du Pape. Le préfet Coëtlogon, qui croit être en mesure de rallier l’évêque au pouvoir impérial, en fait les frais, déplacé pour sa naïveté et son manque de sens politique. Toutefois, lors du concile Vatican I de 1870, il considère inopportune la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale.

De l’éloquence de la chaire à l’art oratoire de la tribune parlementaire

Élu député du Loiret à l’Assemblée nationale le 8 février 1871 en raison de la popularité gagnée par son attitude patriotique de prisonnier des Prussiens, Dupanloup y retrouve Littré. Il s’emploie à opérer la fusion du camp royaliste entre légitimistes et orléanistes et fait partie de la délégation reçue par le comte de Chambord pour tenter de le convaincre d’adopter le drapeau tricolore. Dupanloup porte en 1875 la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur. Il est l’un des 75 sénateurs inamovibles élus à vie par l’Assemblée nationale le 18 décembre 1875. Il continue de se battre pour l’Ordre moral, vote en faveur de la dissolution de la Chambre des députés en 1877 et interpelle le gouvernement Dufaure pour protester contre la publication d’extraits de Voltaire par le comité du centenaire du philosophe.

À sa mort au château de la Combe, sa dépouille est transférée dans la cathédrale d’Orléans où un mausolée le représentant sur son lit funèbre est érigé en 1888.

Pierre Allorant

Traces mémorielles

  • Il y a une rue Dupanloup à Annecy, une à Orléans et une à la Chapelle-Saint-Mesmin. L’Hôtel Dupanloup, autrefois évêché puis bibliothèque municipale au XXe siècle, est devenu le Centre International Universitaire de Recherche de l’université d’Orléans et abrite des colloques internationaux, des conférences et des soutenances de thèses.
  • Boulogne-Billancourt abrite une école et un collège confessionnels Dupanloup.

Pour aller plus loin :

  • Éric Anceau, « La liberté de l’enseignement supérieur », in Pierre Allorant et Walter Badier (dir.), Les dix décisives (1869-1879), PUR, 2020 (à paraître).
  • Brigitte Basdevant-Gaudemet, « Félix Dupanloup », in Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin et Jacques Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français XIIe-XXe siècle, PUF, « Quadrige », 2015, p. 367-368.
  • Jean Garrigues, « Félix Dupanloup », in Pierre Allorant, Alexandre Borrell et Jean Garrigues, 250 Lieux, personnages moments. Patrimoine en Beauce, Berry, Gâtinais, Perche, Sologne, Touraine, PUFR, 2018, p. 312-314.
  • Christiane Marcilhacy, Le diocèse d’Orléans sous l’épiscopat de Mgr Dupanloup, 1849-1878, Paris, 1962.
  • Le diocèse d’Orléans sous l’épiscopat de Mgr Dupanloup et les problèmes politiques de son temps, Actes du colloque des 17-18 novembre 1978, Orléans, 1980.

Commentaires

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  1. Ce qui est curieusement appelé à 4 reprises dans cet article la « liberté de l’enseignement », pour laquelle s’est battu Mgr Dupanloup, n’est en fait que la lutte pour le maintien du privilège accordé à l’enseignement catholique : offrir un enseignement de nature confessionnelle concurrent à celui l’école laïque, gratuite et républicaine qui sera mise en œuvre avec les lois Ferry. Le seul enseignement libre est celui professé par l’éducation nationale, et jamais celui des religions. Nos amis belges qui manient la langue française souvent mieux que nous l’illustrent bien quand ils nomment l’Université Libre de Bruxelles, libre de tout dogmatisme religieux.

  2. Très pertinent rappel de M Kounowski.
    Saint-Nicolas -du -Chardonnet n’est-ce pas cette église intégriste qui a refusé vatican2 et où très récemment une messe a été célébré en présence de fidèles nonobstant le confinement ?

  3. Rien à rajouter à l’excellent commentaire de Gilles Kounowski.
    Il n’y a en France qu’une seule école Libre(ouverte à tous les enfants) c’est l’Ecole de la République:l’Ecole LaÏque!
    Merci à l'”ancêtre” pour son judicieux commentaire!

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