Jacques Abbatucci, un Corse Garde des Sceaux, entre Orléans et Paris (1791-1857)
Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans et historien
Né le 21 décembre 1791 à Zicavo, mort à Paris le 11 novembre 1857, Jacques-Pierre-Charles Abbatucci est profondément lié à l’histoire du bonapartisme. Mais les hasards de la carrière judiciaire et de la politique le relient triplement au département du Loiret, siège de sa promotion de magistrat, de son élection législative et de sa présidence de l’assemblée départementale.
Un enfant d’une vieille famille corse lancé dans le droit puis la politique
Petit-fils d’un général corse partisan de Bonaparte contre Paoli, réfugié en France après la perte de Calvi, puis héros de la campagne d’Italie, qui perd trois de ses quatre fils pour la République ; Jacques-Pierre Abbatucci est le fils du 4e et seul survivant, Jacques, consul du roi de Naples.
Après des études de droit à Pise, le futur ministre de Napoléon III devient avocat, puis entre dans la magistrature en 1816 comme procureur du roi dans la petite sous-préfecture de Sartène, à proximité immédiate de ses terres, puis comme conseiller à la cour royale de Bastia en 1819.
L’ami d’Odilon Barrot, président de chambre à la cour d’appel d’Orléans
La révolution des « Trois Glorieuses » de juillet 1830 accélère sa carrière judiciaire et son engagement politique. Élu député d’Ajaccio, il rejoint l’opposition et se rapproche de son ancien condisciple au Prytanée de Saint-Cyr, Odilon Barrot.
Promu président de chambre à la cour royale d’Orléans en octobre 1830, Abbatucci occupe ce poste jusqu’en 1839. Il est décrit dans un rapport de police du 5 décembre 1832 destiné au Garde des Sceaux comme l’instigateur et le président de trois réunions composées « d’hommes anarchistes, républicains, ennemis du gouvernement ».
Le député d’opposition du Loiret
Abbatucci est élu député du Loiret en 1839 en tant que membre de l’opposition de gauche, avec le soutien marqué de son ami Odilon Barrot. Il écrit dans le Journal du Loiret, seul organe d’opposition du département, et assure sa réélection en 1842 et 1846. Le 27 septembre 1847, il préside le banquet réformiste d’Orléans qui s’inscrit dans la campagne nationale lancée par Barrot pour porter la revendication d’une réforme électorale et parlementaire, mouvement qui aboutit à la chute de Louis-Philippe.
Représentant du peuple à la Constituante et conseiller à la cour de cassation en 1848
Rallié au Gouvernement provisoire de la Seconde République, Abbatucci accepte de Crémieux un poste de conseiller à la cour d’appel de Paris, puis de conseiller à la cour de cassation le 29 mars 1848. Élu à la Constituante d’avril 1848, il se dit défenseur de la République, mais vote le plus souvent avec la droite. Toutefois, il approuve le bannissement de la famille d’Orléans.
Le président du comité de législation et corédacteur de la déclaration présidentielle au service du Prince-Président
Ayant voté en faveur de l’incompatibilité des fonctions salariées par l’État, il démissionne de la magistrature après sa réélection en 1849 à la députation du Loiret. Il défend l’élection directe du Président de la République au suffrage universel et les prérogatives du chef de l’État, avant de rédiger la déclaration de candidature présidentielle de Louis-Napoléon Bonaparte puis d’appuyer de manière occulte son coup d’État.
Le Garde des Sceaux du « premier vol de l’Aigle » : la confiscation des biens de la famille d’Orléans par le président du conseil général du Loiret
Très ancien et fidèle partisan du Prince-Président, Abbatucci défend les décrets de confiscation des biens des Orléans, ce « premier vol de l’Aigle ». Nommé Garde des Sceaux à la place de Rouher le 22 janvier 1852, il assume en même temps la présidence du conseil général du Loiret, de sa nomination impériale le 15 août 1852 à sa mort en 1857.
En tant que ministre de la Justice, doyen de l’équipe ministérielle de l’empereur, Abbatucci met fin à l’inamovibilité des magistrats par le décret du 1er mars 1852 et rétablit les titres de noblesse. Il porte plusieurs projets de loi : la loi du 3 juillet 1852 sur la réhabilitation sociale des condamnés, celle du 4 juin 1853 qui renforce les garanties sociales et morales de composition du jury et celle du 30 mai 1854 qui relègue les forçats hors de France et leur interdit tout espoir de retour même après leur libération du bagne.
Postérité et traces mémorielles
Parmi ses trois fils, tous bonapartistes, deux jouent un rôle éminent :
- Jean-Charles (1816-1885) influent dans la presse, député dès 1849, conseiller d’État, préside le conseil général de la Corse ce qui en fait l’un des principaux artisans de la politique insulaire du régime impérial.
- Paul-Séverin (1821-1888), membre du Corps législatif de 1852 à 1871, fait connaître les besoins de la Corse et demeure après Sedan une grande figure du bonapartisme.
- Il y a une rue Abbatucci à Paris, une rue à Bastia, et la place d’Ajaccio qui abrite la statue du général Abbatucci est dédiée à son grand-père. Le domaine Comte Abbatucci produit aujourd’hui l’un des meilleurs grands vins de Corse.
Pierre Allorant
Pour aller plus loin :
- Pierre Allorant, « Jacques Abbatucci », in Pierre Allorant, 250 Lieux, personnages moments. Patrimoine en Beauce, Berry, Gâtinais, Perche, Sologne, Touraine, PUFR, 2018, p. 241.
- Pierre Allorant, Les Présidents du conseil général du Loiret de 1871 à 1982, PUO, 2003, p. 163.
- Pierre Allorant, in Jean-Paul Pellegrinetti, Corsica Imperiale. Napoléon III et la Corse (1851-1870), Museu di Bastia, 2019, p. 46-54.
- Éric Anceau, « Les Corses dans les hautes sphères du pouvoir sous le Second Empire », in Napoléon III et la Corse. Notables du Second Empire, Musée national de la Maison Bonaparte, 2017, p. 10-17.
- Fernand Beaucour, « Abbatucci », in Jean Tulard (dir.), Dictionnaire du Second Empire, Fayard, 1995, p. 2.
- Jean-Jacques Clère, « Jacques Abbatucci », in Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin et Jacques Krynen (dir.), Dictionnaire historique des juristes français XIIe-XXe siècle, PUF, « Quadrige », 2015, p. 1.
- Pierre Guiral, « Le personnel gouvernemental du Second Empire », Revue du Souvenir napoléonien, n° 299, 1978.