Sarah Dumont
La France compte plus de 8 000 morts du coronavirus, en hôpital et en Ehpad, au 5 avril 2020, et les obsèques ne peuvent plus avoir lieu dans les conditions habituelles. Confinement oblige, la réglementation réduit chaque jour au strict minimum le nombre de participants autorisé. Alors comment faire son deuil quand on ne peut pas organiser de cérémonie ? Quelles mesures alternatives peuvent être mises en place pour aider les proches à se recueillir à distance ?
Sarah Dumont, spécialiste du deuil, fondatrice du site d’information happyend.life qui lève le tabou de la mort et auteure de l’ouvrage Un Enterrement comme je veux !, répond à ces questionnements et propose des solutions pour aider les proches à surmonter cette douloureuse épreuve.
Le coronavirus a tué plus de 8000 personnes en France à l’hôpital et en maison de retraite et le chiffre ne cesse de croître. Les familles ne peuvent pas être au chevet de leur proche souffrant et, lors du décès, ne peuvent se rendre aux obsèques pour cause de confinement. Quelles sont les conséquences sur le processus de deuil ?
Sarah Dumont : Ne pas être au chevet d’un proche mourant est très douloureux. Cela entraîne un fort sentiment de culpabilité et d’impuissance.Et lorsque le décès survient, la famille est privée du corps. Pourtant c’est important que les proches puissent visualiser le défunt, pour prendre conscience de sa mort, l’accepter. Voir le corps est capital dans le processus de deuil. Par ailleurs, l’impossibilité d’organiser une cérémonie ou de se rendre aux obsèques peut retarder le processus de deuil, voire provoquer des deuils compliqués.
Les conseillers funéraires poussent un cri d’alarme car ils n’ont pas reçu de directives claires de la part du gouvernement concernant les cérémonies funéraires, si ce n’est un nombre de plus en plus restreint de participants. Comment peuvent-ils aider les familles ?
S.D. : Chaque département, chaque préfet prend des décisions différentes. Cela met les conseillers funéraires dans la difficulté. De plus, ils doivent faire respecter les distances entre les membres présents et sont contraints de les empêcher de s’étreindre, de partager leur douleur et tout cela sans l’aide des autorités. Ils vivent très mal cette situation, ce sont les grands oubliés de la crise. Ils n’en sont pas moins empathiques et soucieux d’accompagner, c’est leur travail. Sous condition que le corps soit présentable puisque les soins de thanatopraxie sont désormais interdits, je préconise de demander au conseiller funéraire de faire une photo ou une vidéo du mort dans son cercueil quand cela est possible ou dans le lit d’hôpital. Mais c’est compliqué de le demander à des soignants au vu de la situation.
On a le droit de mettre des objets dans le cercueil. Les proches peuvent donc amener au conseiller funéraire des objets qui étaient chers au défunt ou avec lesquels ils ont envie qu’il parte. Un dessin d’enfant, des lettres, des bijoux, des livres. Si on est à distance, on peut aussi écrire un mail et demander au professionnel de le glisser dans le cercueil, ça peut être important pour certains, ça peut les aider. Même à distance, la cérémonie doit être vécue collectivement, autant que possible. Par chance, de nombreuses pompes funèbres proposent de filmer la cérémonie, ce qui permet à chacun de la visualiser sur Skype, WhatsApp, Messenger… La platefome Mieux Traverser le deuil propose ce service pour apaiser le chagrin des familles, privées de l’enterrement de l’être aimé. On peut aussi demander aux professionnels funéraires de réaliser un geste d’hommage à notre place, si c’est important pour nous.
Selon l’étude du CRÉDOC (Les Français et les obsèques, mai 2016), 70 % des personnes estiment qu’avoir participé à l’organisation de la cérémonie a eu un impact positif sur leur deuil. Etant donné les circonstances exceptionnelles dues au confinement, comment et quoi faire quand on ne peut pas assister à la cérémonie, virtuelle ou pas ?
S.D. : En effet, les funérailles aident à prendre acte du décès, permettent de rendre hommage au défunt. En être privé peut donner le sentiment de pas avoir été à la hauteur de tout ce que notre proche nous a apporté de son vivant et laisser les famille dans une résignation blessée. Il y aura aussi beaucoup de culpabilité de ne pas avoir fait. Pour se débarrasser de cette culpabilité, il faut se sentir actif. Organiser un temps de communion pour rendre hommage à la personne décédée est primordial. C’est une forme de thérapie universelle que de s’occuper de ses morts. Comme si agir était un rempart à la tristesse, temporaire mais salvateur. En temps normal, les funérailles sont un moment d’ajustement des comptes. Faire un geste d’hommage permet de ne pas rester en dette. Certains ont besoin de poser la main sur le cercueil, mettre des pétales, mais quand on ne peut pas il faut trouver de la symbolique et permettre à chacun de faire un geste, même à travers un écran. Ce n’est pas grave, il faut s’adapter.
Quelles alternatives à la cérémonie classique préconisez-vous ?
S.D. : Derrière leur écran, certains peuvent chanter ou jouer un morceau de musique, un peu à l’instar des apéros à distance qui prolifèrent en période de confinement. L’idée est de créer un moment de communion virtuel, un hommage virtuel. Chacun sera chez soi et vivra ce moment collectif d’une autre façon, l’important étant de le vivre. Chacun doit pouvoir agir, ne pas se sentir impuissant. On a le droit dans de tels moments d’exprimer les choses comme on le ressent. Pourquoi ne pas lire un texte en hommage au défunt, chanter une chanson ou allumer une bougie, tous ensemble au même moment ? Chacun doit s’autoriser à être libre de faire comme il le sent, tant que ça ne vient pas à l’encontre de la famille la plus proche dont il faut respecter la posture. Il ne faut pas faire quelque chose qui fait trop violence, chacun a un rapport personnel à la mort.
On peut aussi créer un arbre à souhaits. Pour cela, il suffit que les proches du défunt envoient un mot par mail ou par La Poste. Les messages seront ensuite suspendus dans un arbre se trouvant sur le jardin du défunt, dans un lieu qui lui était cher, ou un arbuste, encore dans son pot, qui pourra ensuite être planté en présence de tous, après la crise. D’autres peuvent écrire le nom du mort sur le sable, faire un dessin, un mandala de fleurs, réaliser une photo d’eux avec la main sur le cœur ou d’une bougie allumée en hommage au défunt et envoyer la photo à la famille. Ces gestes peuvent sembler ridicules mais c’est très important d’avoir été actif, il faut parler avec son cœur. Tout ce qui permettra de s’exprimer dans l’authenticité aidera. Et si on le souhaite ensuite, une cérémonie pourra avoir lieu.
Qu’entendez-vous par « une cérémonie pourra avoir lieu » ? Comment s’y prendre ?
S.D. : Il est important de ne pas rester avec le sentiment de ne pas en avoir assez fait. Surtout qu’il est possible d’organiser une cérémonie a posteriori, sans cercueil. Des dérogations au droit funéraire ont récemment été prises par le gouvernement. Elles permettent notamment aux familles qui le souhaitent de reporter les obsèques d’un défunt jusqu’à six mois et de conserver le corps dans l’attente de son inhumation. Et même sans cercueil, il est possible de louer des salles au crématorium ou à l’église comme on fait des messes « en mémoire de » et matérialiser le défunt par un objet symbolique (photo, objets…). Cela actera la séparation, si on n’a pas pu le faire au moment du décès. Le but est de vivre un moment de communion autour du défunt et de tous l’accompagner, pour un dernier au revoir. Je pense que les pompes funèbres vont le proposer. Si la crémation a été choisie , le défunt pourra être représenté par l’urne qui peut être conservée dans un crématorium pendant un an. Les proches pourront alors organiser une cérémonie au moment de la remise de l’urne ou encore de la dispersion des cendres. Cette cérémonie peut être suivie d’un repas.
Dans le cadre de votre accompagnement dans le deuil, vous organisez des « Apéros de la mort ». Dans quel but et que proposez-vous en période de confinement ?
S.D. : La période actuelle est particulièrement anxiogène. Pour maintenir le dialogue, j’organise des « Apéros de la mort » virtuels, le temps du confinement, en fonction du besoin, de la demande. D’habitude, je les organise dans des lieux publics. J’ai mis en place ces moments d’échange dédiés à tous ceux qui se sentent concernés ou s’interrogent sur le deuil et la mort. C’est un moment de partage où chacun peut s’exprimer, témoigner de son vécu et être écouté sans aucun jugement, ni commentaire. Ce n’est pas une démarche thérapeutique mais simplement un lieu pour se retrouver, pour sortir du silence de ce sujet si tabou.
Propos recueillis par Elodie Cerqueira
Sarah Dumont, auteure d’Un enterrement comme je veux ! Le premier guide pratiques des obsèques civiles. HappyEnd.life. 144 pages 14,90 €.