Pierre-Antoine BERRYER, le « Prince de l’éloquence » (1790-1868)
Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans et historien
La conférence Berryer est depuis 150 ans une institution dans le monde du barreau, une joute oratoire au cours de laquelle deux candidats se soumettent aux critiques férocement humoristiques d’un parterre constitué des douze Secrétaires de la Conférence, jeunes avocats les plus prometteurs, sous le regard d’un invité prestigieux, de Dali à Gainsbourg, du mime Marceau à Valérie Lemercier, sur des sujets liés à l’actualité ou à l’invité, de « Veni, Vidi, Moscovici » à « Ne reste-t-il que la liberté de pensée aux Pagny percés ? »…
Mais qui était Pierre-Antoine Berryer à qui la conférence rend ainsi hommage ? Le « prince de l’éloquence », bâtonnier et ténor du barreau de Paris, courageux défenseur des libertés sous tous les régimes du XIXe siècle, est l’un des grands praticiens du droit issus de l’Orléanais, terre de juristes.
Antoine Berryer
Propriétaire du château d’Augerville-la-Rivière, petite commune du Gâtinais, sur les coteaux de l’Essonne, proche de Malesherbes, où il s’est éteint et a été enterré à 78 ans le 29 novembre 1868, Berryer a marqué l’histoire des avocats. Né à Paris le 4 janvier 1790, fils de l’avocat et jurisconsulte Pierre-Nicolas Berryer, avocat au Parlement de Paris, frère du général Hippolyte-Nicolas Berryer, il est élève au collège des Oratoriens de Juilly en Seine-et-Marne. « Berryer fils » se destine à l’état ecclésiastique, mais son père décèle chez lui des qualités d’orateur idéales pour briller dans les métiers du droit et de l’avocature. Il reçoit les leçons de l’avocat et ancien député constituant aixois de Bonnemant et de l’avoué Normand. À peine majeur et encore étudiant, il épouse à 21 ans Caroline Gauthier, fille du riche administrateur des vivres de la division militaire de Paris.
Le défenseur des généraux de l’empire, de la liberté de la presse et des cultes
Inscrit au barreau de Paris en décembre 1811, immédiatement après l’obtention de sa licence en droit, Berryer est d’abord brièvement séduit par Napoléon, avant de devenir un opposant monarchiste convaincu, dès 1812, au sein du camp légitimiste auquel il reste fidèle toute sa vie. À la Seconde Restauration de 1815 qui suit Waterloo, lui qui a rendu visite dans son exil de Gand à Louis XVIII, il aide son père à défendre le maréchal Ney devant la cour formée par les membres de la Chambre des Pairs. S’il ne peut éviter la condamnation à mort et l’exécution du maréchal, il réussit l’année suivante à éviter la peine capitale à deux généraux Cambronne et Debelle devant le Conseil de guerre en 1816. Son libéralisme le conduit à critiquer les excès de la « Terreur blanche » et il fait remarquer son talent dans la défense des causes politiques.
Le défenseur légitimiste de toutes les causes et de la liberté
Défenseur du catholique ultramontain Lamennais en 1826, le jeune avocat est élu à la Chambre des députés à partir de 1830, y défendant la cause légitimiste et les opinions libérales avec un remarquable talent oratoire. Mis en cause lors de l’équipée de la duchesse de Berry, il est acquitté en 1832. Tout au long de la monarchie de Juillet, il incarne l’opposition libérale avec indépendance : favorable à l’hérédité de la pairie, hostile au cens électoral, Berryer défend la compétence du jury pour les délits de presse et les délits politiques. Il plaide pour Chateaubriand en 1833, pour les journaux légitimistes, mais aussi pour le prince Louis-Napoléon après l’attentat avorté de Boulogne de 1840.
Bâtonnier et académicien. Berryer et le refus du coup d’État du 2 décembre
Hostile à l’avènement de la Seconde République, membre de l’Assemblée législative, il proclame la déchéance du Prince-Président lors du coup d’État du 2 décembre 1851. Opposant au Second Empire, sa fidélité au comte de Chambord ne le dissuade pas de défendre la famille d’Orléans spoliée par la confiscation de ses biens lors du « premier vol de l’Aigle » en 1852. Avocat du comte de Chambord en 1857 et de Montalembert en 1858, il défend également des ouvriers typographes poursuivis pour délit de coalition en 1862, puis les opposants républicains accusés d’association illicite lors du « Procès des Treize » de 1864.
Élu bâtonnier du barreau de Paris en 1852 et à l’Académie Française en 1854 puis réélu député d’opposition en 1863, l’avocat libéral tente de concilier dans ses écrits son activité de civiliste et de pénaliste au prétoire et ses engagements publics. Il publie sur le droit des élections et de presse, sur les questions budgétaires et fiscales, sur les relations ferroviaires, maritimes et coloniales. Son éloquence, au prétoire comme à la tribune, est saluée par tous, bien au-delà des rangs de ceux qui partagent ses idées politiques.
Bien que retiré de la politique active, il est l’un des défenseurs des libéraux et des républicains, « fine fleur du barreau libéral » (Grévy, Favre, Picard, Garnier-Pagès, Hérold, Jozon), accusés lors du « Procès des Treize » d’avoir coordonné la campagne électorale des oppositions pour le Corps législatif en 1863.
Cormenin a trouvé les mots les plus justes pour saluer le talent de Berryer qui « est après Mirabeau, le plus grand des orateurs français. […] Berryer domine l’assemblée de sa tête haute. Il la porte en arrière comme Mirabeau, ce qui la dilate et l’épanouit. Il s’établit à la tribune et il s’en empare comme s’il en était le maître. Sa poitrine se gonfle, son buste s’étale, sa taille s’allonge et l’on dirait un géant. Mais ce qu’il y a d’incomparable, ce qu’il a par-dessus tous les autres orateurs de la Chambre, c’est le son de la voix, la première des beautés pour les acteurs et pour les orateurs ». Mais l’admiration de Cormenin n’exclut pas le regret de l’orientation politique de ce talent à ses yeux dévoyé : « Quel dommage que Berryer, qu’un si puissant orateur, ne combatte pas dans nos rangs, à la tête du parti populaire ! Comment un pareil esprit ne sent-il pas le vide des doctrines de la légitimité ? Comment ne travaille-t-il pas avec nous, dans les voies de la liberté, à l’émancipation du genre humain ? Comment ne comprend-il pas que le principe de la souveraineté du peuple est le seul vrai, le seul que la raison avoue, le seul que l’avenir de toutes les nations glorifiera ? »
Pierre Allorant
Pour aller plus loin :
- L’ancienne rue des Écuries d’Artois dans le 8e arrondissement de Paris a été dénommée Berryer en 1877, ainsi que la rue d’Issy-les-Moulineaux qui abrite l’école de formation professionnelle des barreaux de la cour d’appel de Paris depuis 2011.
- Marseille, l’Hôtel de ville de Paris, la salle des pas perdus du Palais de Justice de Paris abritent une statue à son effigie.
- Pierre-Antoine Berryer, Œuvres de Berryer, Paris, 1872-1878, 9 vol.
- Louis-Marie de Lahaye Cormenin (Timon), Le livre des orateurs, Pagnère, 1842, p. 456-467.
- Charles de Lacombe, Vie de Berryer, Firmin-Didot, 1894-1895, 3 vol., tome 1. La Jeunesse de Berryer, 1894 ; tome 2. Berryer et la monarchie de Juillet, 1895 ; tome 3. Berryer sous la République et le Second Empire, 1895.
- Fonds Berryer, 223 AP, Archives nationales.