Le 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, a explosé. Des nuages radioactifs et une peur glaçante se sont répandus sur l’Europe. Le régime soviétique, maître en matière de contrôle de l’info, a tout fait pour que rien ne transparaisse.
Une série initiée par HBO, sortie en 2019 et passée en France sur OCS City en juin, retrace en 5 épisodes d’une heure l’histoire de cette explosion, ses conséquences, et enquête sur ses causes. Terrifiant. Mais trop important pour ne pas profiter du temps libre offert par le confinement pour découvrir ce film d’une rare qualité.
La première qualité de cette mini série, c’est le soin apporté à la reconstitution de cette époque en URSS, dont faisait partie l’Ukraine. Craig Mazin et Johan Renck ont travaillé sur tous les éléments matériels, les appartements, les vêtements, les décors. On se promène dans Pripyat, ville nouvelle entièrement dédiée à la centrale mais située à quelques kilomètres, on en voit les immeubles, les salles communes, les sculptures, les passants, alors qu’elle est en zone interdite, abandonnée depuis 36 ans. Pour réaliser toutes ces séquences, l’équipe a fait appel à une agence d’effets spéciaux remarquable, DNEG. Les vraies images, disons le film, ont été tournées à Ignalina en Lituanie, une centrale et une ville jumelles de Tchernobyl. DNEG les a retravaillées pour retrouver l’environnement de Pripyat, ville plus petite, plus au sud et entourée de forets. Le résultat est époustouflant.
Et puis la centrale elle même, à l’intérieur comme à l’extérieur, la salle des machines, l’explosion, les destructions sont minutieusement reconstituées. L’équipe a réfléchi en scientifiques, comment le carbone et le graphite se comportaient à 700°, sans flammes mais avec des fumées de telle couleur, de telle consistance. Tous ces détails font de cette fiction l’impression d’un documentaire sur l’explosion de Tchernobyl.
La compréhension des événements
Et puis il y a l’histoire humaine. Car l’explosion du réacteur n°4 est due à une suite d’« erreurs » humaines. Là encore, la série retrace point par point, seconde par seconde, la suite des événements. Avec une narration non chronologique, mais totalement axée sur la compréhension des événements et sur l’importance des actes des responsables de la centrale. On découvre les faits en même temps que Valeri Legassov (Jared Harris), Boris Chtcherbina (Stellan Skarsgård ) et Ulana Khomyuk (Emily Watson ). Avec en prime, dans l’épisode final, une scène de procès où le fonctionnement d’un réacteur de type RMBK est expliqué pour les nuls que nous sommes en la matière.
Valeri Legassov (Jared Harris), Boris Chtcherbina (Stellan Skarsgård ) et Ulana Khomyuk (Emily Watson) copyright-cran-38
Il y a les conséquences sur la population, ce moment surréaliste ou quelques heures après l’explosion, des particules de cendres radioactives viennent danser dans les cheveux des spectateurs sur le pont d’où l’on voit le réacteur en feu. La beauté folle de ces instants est prenante. Mais il y a aussi les brûlures, les vomissements, les souffrances des irradiés, les difficultés de soins. Sans pathos, mais tout de même très présents, les corps atteints, brûlés, mourants nous rappellent que ce danger invisible est terriblement mortifère. Puis les conséquences, l’évacuation de la population, et dans les mois qui ont suivi, l’abattage des animaux domestiques restés dans les zones irradiées.
Ne pas détruire le bonheur du peuple
Et il y a tout le système politique qui régissait l’URSS. Les scientifiques étaient bien sûr soumis aux politiques. La réunion des autorités locales du parti, juste après l’accident, est absolument hallucinante. Le discours du vieux militant en résume l’esprit : surtout ne rien dire, ne rien faire pour ne pas détruire le bonheur du peuple. Mensonge absolu. Et pourtant, l’audace de Legassov pendant une réunion au sommet touche Gorbatchev et ouvre l’enquête qui permettra de découvrir toutes les erreurs, tous les mensonges humains, donc aussi ceux du système, qui ont permis une telle catastrophe.
Abandonner la recherche de vérité et se raconter des histoires
« Qu’y a t il de pire que les mensonges ? Ce n’est pas de les confondre avec la vérité. Le vrai danger, quand on entend trop de mensonges, c’est de ne même pas reconnaître la vérité. Que faire alors ? Si ce n’est abandonner tout espoir de vérité et nous contenter de simples histoires. Dans ces histoires, peu importe les héros, on veut seulement savoir qui est coupable. »
C’est ainsi, en voix off et en anglais, sur des images de canapé à fleurs et de chat endormi, des images kitch et sombres, que s’installe la série. Car effectivement, au delà des mesquineries individuelles et des ambitions aveugles et minables, le système communiste est en cause, sa lourdeur, son refus de reconnaître l’erreur collective.
Même en pays libéral, l’information autour du nucléaire est très difficile à obtenir. En plus, après une catastrophe aussi lourde, il y a un temps plus ou moins long de silence, qui n’est pas de l’oubli, mais peut être celui de la digestion. Tchernobyl n’avait pas vraiment de narration pour l’instant. Cette série initie d’une certaine manière un récit historique. Étrange, qu’une fiction, donc un « mensonge » de plus, épaule l’Histoire. Ce qui en fait un attrait supplémentaire.
Bernard Cassat
Chernobyl
Mini-série de Craig Mazin et Johan Renck
avec Jared Harris (Valeri Legassov, directeur adjoint de l’Institut d’énergie atomique de Kourchatov),
Stellan Skarsgård (Boris Chtcherbina, vice président du Conseil des ministres, chef du Bureau des combustibles et de l’énergie),
Emily Watson (Ulana Khomyuk, une scientifique de l’Institut de l’énergie nucléaire de l’Académie des sciences de la RSS de Bielorussie, personnage totalement fictif),
Jessie Buckley (Lioudmila Ignatenko, épouse de pompier),
Paul Ritter (Anatoli Diatlov, ingénieur en chef de la centrale),
Robert Emms (Leonid Toptunov, ingénieur principal gestion du réacteur),
Scénario : Craig Mazin
Décors : Luke Hull
Costumes : Odile Dicks-Mireaux
Photographie : Jakob Ihre
Montage : Jinx Godfrey et Simon Smith
A voir à lire :
Pour le travail sur les images : dneg.com/fr/reels/
Sur le site du New Yorker (en anglais),
https://www.newyorker.com/news/our-columnists/what-hbos-chernobyl-got-right-and-what-it-got-terribly-wrong
What HBO’s “Chernobyl” Got Right, and What It Got Terribly Wrong, un article de Masha Gessen, formidable analyse de la série en historienne et philosophe
On trouve la mini-série sur le site de HBO ou sur des plates formes de streaming. Existe aussi en dvd.