“C’était la panique, les gens se battaient, cassaient des vitrines“. Expulsées dimanche 15 mars de Tunisie par crainte du coronavirus, deux Orléanaises n’ont pu retrouver leur domicile que mercredi 18 mars au soir, après 48 heures cauchemardesques dans l’aéroport de Tunis-Carthage. Et grâce au marché noir.
“Nous étions les deux dernières à partir. Ensuite, il n’y avait plus d’avion, et l’aéroport fermait à minuit“, explique France Boucher, manager de l’agence orléanaise Coté Emploi, la voix encore chargée d’émotion. “Et, si nous avons pu le faire, ce n’est pas avec nos billets de retour officiels“, assène-t-elle. “Je n’en suis pas très fière, mais il fallait que nous sortions de cet enfer“.
Arrivées à Tunis par Transavia le vendredi 13 mars, France et sa fille avaient programmé un séjour d’une semaine pour que cette dernière puisse subir une intervention dentaire dans une clinique spécialisée de la ville. “Nous sommes arrivées le vendredi, nous avons payé, elle a eu sa première intervention, mais c’est tout“. Le rendez-vous prévu la semaine suivante pour l’opération n’aura pas eu lieu. “Le dimanche matin, la police est arrivée à l’hôtel, et nous a donné 10 minutes pour prendre nos affaire et nous emmener à l’aéroport, où nous savions qu’il n’y aurait pas d’avion pour repartir. Heureusement, j’avais pris de l’argent liquide“.
Deux jours d’angoisse
“Nous nous sommes retrouvées à l’aéroport au milieu de plusieurs centaines de personnes de plusieurs nationalités, dont beaucoup de français. Pas d’avion, et impossible de compter sur nos billets, puisqu’ils n’étaient valables que pour notre retour, le vendredi 20 mars“. L’angoisse montait au fil des heures, perceptible sur sa page Facebook, seul moyen de communiquer avec ses proches et ses amis. Qui, au fil du temps, reçurent de vrais appels au secours, pour contacter les autorités françaises, et les sortir de là. “Au fil des heures, les gens s’énervaient, se battaient, cassaient des vitrines, à mesure que les bureaux des agences fermaient, alors qu’aucune information ne venaient pour nous rassurer“. Avec très peu de ravitaillement sur place. “Rendez-vous compte, le café était à 14 euros !“. Au bout de deux jours, France a craqué, prenant une décision jugée “irresponsable” par sa fille. “Elle est fonctionnaire, habituée aux respect des règles. Elle n’a pas compris pourquoi j’ai accepté, en désespoir de cause, de confier tout mon argent liquide et nos passeports pour obtenir deux billets. Et c’est vrai que c’était un pari fou“. Mais cela a payé. “Les deux billets m’on coûté près de 1000 euros chacun. Mais nous les avons eu. Nous étions les deux dernières à embarquer, dans le dernier avion, à 19h. L’avion a décollé à 20h. Et l’aéroport fermait à minuit“.
Une arrivée mouvementée
Elles ont atterri vers 22h15 à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, et chacune a pu rentrer dans ses foyers, après avoir supporté encore des bagarres entre voyageurs au moment de la reprise des bagages, “certainement à cause de l’énervement. On ne sait toujours pas pourquoi“.
France a repris le travail le lendemain, confinée devant son ordinateur. “Je me suis calmée, depuis, et je ne suis plus énervée contre les autorités françaises. Sur place, nous n’avions pu joindre ni le consulat ni l’ambassade, et nous nous sentions seules, abandonnées par l’état français“. L’ambassade l’a appelée ce vendredi 20 mars pour savoir où elle était. “Je suis rentrée chez moi“, leur a-t-elle dit, surprise de la question, puis compréhensive après l’explication. “Il y a encore plus de 6500 personnes bloquées en Tunisie. Quand l’aéroport a fermé, certains ont pu trouver des chambres dans quelques hôtels où il restait des places, mais il faut retrouver tous les autres, peut-être logés chez l’habitant, on ne sait pas“, lui a-t-on dit. Et notamment un couple de Loirétains, de Montargis. “Eux n’ont pas eu notre chance, et n’ont pas pu embarquer“.
La compagnie aérienne qui leur avait vendu le billet de retour de s’est pas manifestée. Et les assurances ne couvrent pas les rapatriements en cas de pandémie. De nombreuses bagarres administratives et juridiques semblent donc se profiler à l’horizon. Et le combat contre le coronavirus n’a pas encore révélé toutes ses conséquences, au quotidien et dans le futur proche.
Jean-Luc Bouland