Report, vous avez dit report ?

« Nous sommes en guerre »

Pierre Allorant, doyen de la faculté de droit d’Orléans et historien

Avec des accents churchilliens, et promettant, après la sueur et les larmes, à la fin, la victoire, Emmanuel Macron a martelé les circonstances exceptionnelles pour justifier les mesures de restriction de liberté prises par l’exécutif, y compris le report inédit du second tour des municipales.

En revanche, le report de l’ensemble d’un scrutin s’est déjà produit dans notre histoire, en lien avec un contexte dramatique ou plus récemment dans l’intérêt du bon déroulement de campagnes électorales successives.

Municipalités de temps de guerre : continuité démocratique ou rupture autoritaire ?

 

Durant la Grande Guerre, les élections municipales prévues en 1916 ont été reportées; il a fallu attendre 1919 pour voir Clemenceau organiser les élections. De même de 1935 à 1945, aucun scrutin municipal n’a pu se tenir, et le corps électoral a été doublé grâce à l’accès des françaises au suffrage universel. Grande différence entre ces deux moments : la démocratie parlementaire et locale continue à fonctionner pendant la Première Guerre mondiale, le gouvernement et l’État-major sont sévèrement contrôlés par les comités secrets des deux chambres et à l’échelon local, le conseil et le maire élus gèrent la ville, par exemple Fernand Rabier à Orléans.

Docteur Chevallier. DR

Tout à l’inverse, l’Etat français de Vichy rend les élus du Front populaire responsables de la défaite, et ses préfets remplacent les maires par des notables plus confirmés à l’esprit de la « Révolution nationale ». Ainsi le jeune maire socialiste d’Orléans, Claude Léwy, ami de Jean Zay élu en 1935, menacé, s’exile à Cuba puis à New York,dans la France libre, et cède sa place au médecin hospitalier, ancien combattant, le docteur Louis Simonin, alors que ses collègues, Pierre Ségelle et Pierre Chevallier, vont s’illustrer dans la Résistance, comme le directeur de l’hôpital Georges Carré.

Intérêt général et bon enchaînement des campagnes électorales. Les précédents

Plus près de nous, en 1995, le Conseil constitutionnel avait jugé conforme à la Constitution le report du scrutin municipal de mars à juin pour que les élections locales n’interfèrent pas sur la campagne présidentielle.

Le Conseil constitutionnel a également validé le report des municipales prévues initialement en mars 2007 en mars 2008 et des sénatoriales de septembre 2007 à septembre 2008 pour cause d’embouteillage électoral, afin d’assurer la sérénité de la campagne présidentielle de 2007.

De même a été validé pour un motif d’intérêt général la prorogation du mandat des conseillers généraux et régionaux jusqu’aux scrutins décalés de 2014 à 2015.

Revoir l’ensemble du calendrier démocratique

Aujourd’hui, dans des circonstances à l’évidence exceptionnelles qui rendent une campagne électorale impossible, avec la suspension de la liberté d’aller et venir, une loi reportant le second tour et sanctuarisant les résultats du premier est très envisageable, avec dans la foulée une validation par le Conseil constitutionnel.

Il serait préférable d’examiner immédiatement la globalité du calendrier des scrutins concernant les collectivités territoriales : le report des sénatoriales de septembre prochain semble logique, et l’on envisageait déjà, avant la crise sanitaire, la concomitance des élections départementales et régionales au printemps 2021 afin de préserver les campagnes présidentielle et législative de 2022.

Circonstances exceptionnelles et protection de la Santé

On peut avoir « juridiquement tort et politiquement raison », pour paraphraser la formule célèbre du toujours jeune maire d’Issoudun, André Laignel, brillamment conforté dimanche. Le consensus des partis représentés au Parlement devrait limiter le flot de recours de candidats s’estimant lésés par cette organisation inédite d’un scrutin écartelé sur plusieurs mois.

De fait, la théorie très classique dans la doctrine juridique française, des « circonstances exceptionnelle », à la base de l’état d’urgence et de l’article 16 de la Constitution, permet d’envisager ces modalités extra-ordinaires. Dans l’intérêt de la démocratie qui doit primer, et d’un autre principe à valeur constitutionnelle : le droit à la protection de la Santé.

Avant de retrouver, au plus vite, l’usage de toutes nos « libertés nécessaires », si vitales.

Pierre Allorant pour Magcentre

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