« Vous n’aurez pas les enfants » et ils ne les ont pas eus. Les enfants sont les petits Juifs qui ont été rassemblés avec leurs familles dans « un camp de triage » à Vénissieux le 29 août 1942. Pour répondre aux exigences des nazis le gouvernement de Vichy a ordonné la rafle des Juifs étrangers dans le Lyonnais. Tous âges confondus, hommes, femmes, enfants, ils sont 1016 enfermés sous la surveillance stricte des gendarmes français dans l’ancien arsenal militaire de Vénissieux, débarqués d’autocars réquisitionnés, ne sachant pas pour quelle destination définitive. Les chambres à gaz, maintenant nous savons. Des membres d’œuvres sociales présents dans l’enceinte, chrétiens, juifs, huguenots, athées, tout simplement humains vont s’employer à exfiltrer les « petits » jusqu’à 16 ans et quelques-uns plus âgés mais paraissant plus jeunes, dont la date de naissance a été falsifiée.
A l’intérieur du camp, une commission de « criblage » doit assurer le triage entre les individus qui doivent partir pour une première étape, vers Drancy et ceux qui pourront rentrer chez eux. Hommes et femmes tous membres d’œuvres sociales vont se servir de cette structure pour exfiltrer 108 enfants Cela leur demande beaucoup de doigté et de courage. Il leur faut convaincre les parents d’abandonner leurs enfants et de les confier à une association, l’Amitié chrétienne, seul moyen de leur éviter la déportation. Très douloureuse séparation. Il faut ensuite faire sortir les petits du camp, les conduire à un endroit secret avant de les confier à des familles d’accueil.
Evasion réussie mais très vite la police, bras armé du préfet, du gouvernement de Vichy, de Laval et Bousquet se lance à la recherche des enfants cachés. En vain. Le primat des Gaules, le cardinal Gerlier, sous la protection desquels ils sont placés s’y oppose avec vigueur. Par là il rejoint l’archevêque de Toulouse qui, le 23 août 1942, a fait lire en chère une lettre pastorale qui rappelait « les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et ces mères de famille. Ils font partie du genre humain ». Dans le même temps, par des tracts, la Résistance prévient « Vous n’aurez pas les enfants ».
Le livre de l’historienne Valérie Portheret est clair, précis, sérieux, rigoureux et tendre à la fois. II dit tout en évite le pathos. Il a été réalisé à partir d’une enquête rigoureuse dont une thèse de doctorat est la base. L’auteure a pu retracer la vie de 90 des 108 enfants exfiltrés de Vénissieux.
Dans l’une des deux préfaces qu’il a écrite pour ce livre, l’autre étant de Serge Klarsfeld, le neuropsychiatre Boris Cyrulnick souligne le grand intérêt de ce livre : « Il démontre comment un délire logique a pu embarquer une population réunie par une doxa … Et comment dans ce même torrent d’autres groupes humains ont navigué sans se laisser entraîner. La banalité du bien en quelque sorte …. Comment expliquer ce mystère ? Car le même phénomène s’est produit en Arménie, au Rwanda et probablement au cours de d’autres génocides inconnus ».
Françoise Cariès