Les soirées Performance de la Scène Nationale d’Orléans ont pour but de présenter des spectacles hors des sentiers battus, qui cherchent un autre type, une autre forme de communication. Mission réussie jeudi soir. Entre deux concerts mis en scène de quatre contrebasses jouées par un seul interprète, Dana Michel, une performeuse canadienne de renommée mondiale, a présenté son Cutlass Spring, une performance radicale déroutante qui interpelle !
Cutlass Spring ©Jocelyn Michel
Dana Michel, avant de monter sur les planches, a été sportive de haut niveau, en course et en foot. Peut être le sens de la compétition l’a poussée à aller loin, très loin. Son spectacle Mercurial George a obtenu le Lion d’Argent à la biennale de Venise 2017. Elle l’a d’ailleurs présenté à Orléans il y a deux ans. De racine antillaise mais de passeport canadien, sa grande thématique tourne autour de la recherche d’identité, y compris sexuelle.
Cutlass spring, la performance qu’elle a présenté jeudi soir à la Scène nationale, est d’une radicalité impressionnante. Déjà la scène n’est pas une scène, puisqu’on est tous sur la scène, aménagée en arène, avec des gradins autour d’un ring blanc. Et lorsque les lumières faiblissent, Dana Michel entre, s’assoit sur son plateau roulant, ressort, revient. Enfin, rien n’est sûr, rien n’est « normal ». Elle finit par s’asseoir en se balançant, attrape une fourchette, fait n’importe quoi avec, attrape le tapis, entasse les fauteuils. Le public bien sûr est dérouté, inquiet, se demande. Qu’est ce que ça peut être, ce cirque ?
Les handicapés, les singes, les noir(e)s ?
Cutlass_Spring©Jocelyn_Michel
Petit à petit, des faisceaux d’idées arrivent. Cette femme toute noire sur ce ring tout blanc, ce n’est pas son monde ! Pas de paroles, mais des gestes qui évoquent les enfants lourdement handicapés, qui naissent avec une autre intelligence, les psychotiques, les autistes, les mongoliens. Tous ceux qui n’ont pas accès à la parole. Proches des bêtes intelligentes, singes ou chimpanzés, qui testent notre monde en touchant les objets qu’ils rencontrent pour voir la réaction, en tripotant, en poussant, avec ce continuel balancement proche de celui de l’amour.
Et pourtant justement, il n’est jamais question d’amour dans ce spectacle. L’émotion est autre. C’est la violence du monde blanc et froid faite à cette femme noire qui cherche une entrée possible, un échappatoire à son isolement, un contact avec l’autre à travers les objets. Pendant une heure, des fauteuils modèle réduit de l’enfance à ceux pour adultes, de la nudité du sauvage au cuir de l’informaticien, elle se heurte aux choses qui ne lui correspondent pas. C’est radical, très radical, autant dans le propos, laissé d’ailleurs à l’imagination de chacun, que dans la forme. Peu d’éléments à quoi se raccrocher. Et pourtant c’est fort. Cette forme de représentation violente le spectateur ou le laisse en dehors. Dans tous les cas, elle inquiète et met mal à l’aise.
La contrebasse en star performative
A 19h et à 22h, Florentin Ginot a fait résonner ses quatre contrebasses. La partita n°2 de Bach, prévue au départ pour violon solo, prend une magnifique ampleur transposée pour contrebasse. Fury, pièce de Rebecca Saunders écrite en 2005, est dans la tradition des recherches des années 60, comme la pièce de Liza Lim. Obstinate de Georges Aperghis, au jeu complexe, a fait appel à tout le talent de l’interprète.
cutNot_Here_©Courtesy_Biennale_di_Venezia_A._Avezzù
Dans la deuxième partie, deux pièces plus actuelles mélangeaient le son de bandes enregistrées avec la contrebasse en direct et du texte marmonné par le musicien. Ambiances urbaines, tropicales, sombres ou lumineuses, la pièce de Florentin Ginot, l’interprète aussi compositeur, faisait appel à un voyage assez large. Une belle démonstration des immenses possibilités de cet instrument !
BC
Le programme des Soirées Performances