Dr Jean Paul Briand
Le 21 février est célébrée la journée internationale de la langue maternelle . La mort des langues est un phénomène qui s ‘accélère. Toutes les deux semaines, une langue disparaît. Aujourd’hui il est recensé plus de 6 000 idiomes dont 141 sont reconnues comme langues officielles par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Cruellement, plus de 43% des langues parlées dans le monde sont menacées de disparition .
Le caprice d’une élite condescendante
On est bien loin du temps où mon grand père était puni lorsqu’il parlait sa langue maternelle : le breton. Il était alors obligé de porter la « ar vuoc’h » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Symbole_(enseignement) à moins de dénoncer un de ses camarades bretonnant. L’école de la République était intransigeante avec les langues des terroirs. Force est de constater qu’elle a ainsi permis de rompre avec les inégalités de classe dues aux particularismes régionaux et d’amorcer l’ascenseur social.
La préservation des langues autochtones est justifiée par le respect de l’histoire, par la conservation des coutumes et traditions, par la préservation des modes de pensées. Pourquoi pas, si cela permet de s’intégrer et de s’épanouir dans le monde du présent. La sauvegarde doctrinaire d’une langue maternelle qui aggraverait les discriminations, les désavantages économiques et qui diminuerait les possibilités d’intégration, voire les réinstallations forcées lors des défis migratoires, n’est pas souhaitable. Elle ne serait qu’un pittoresque et folklorique caprice d’une élite condescendante, dédaignant la réalité.
La mort d’une langue n’est pas définitive
Certaines langues sont vernaculaires, d’autres véhiculaires. En France, pour les médecins, le français est la langue vernaculaire. Langue qui permet de dialoguer avec les patients et avec l’entourage. Depuis une cinquantaine d’années, l’anglais est devenu la langue véhiculaire dominante et incontournable en médecine. Elle est utilisée pour diffuser la pensée de la science médicale. Le latin était, il y a 2000 ans, la langue vernaculaire des habitants de Rome. Il s’est ensuite largement diffusé dans le bassin méditerranéen jusqu’à devenir une langue véhiculaire, utilisé dans le commerce, les arts et les sciences avant de disparaître. Une langue est en survie précaire dès qu’elle n’est plus pratiquée quotidiennement pour les besoins usuels de la vie, que le nombre de ses locuteurs chute, lorsqu’elle perd de ses fonctions de communication dans la vie sociale et surtout lorsqu’elle n’est plus rentable au plan économique.
Ces facteurs de disparition sont souvent consécutifs aux conquêtes militaires. Le pouvoir socio-économique et l’impérialisme culturel du dominant imposent la langue du vainqueur et marginalisent celle du vaincu. L’histoire a néanmoins montré que ce processus pouvait être tenu en échec. Les vikings, pourtant vainqueurs des Anglo-Saxons n’ont pas fait disparaître la langue anglaise. Le français reste très présent au Canada malgré la domination anglaise. L’arabe reprend une place prépondérante en Algérie après 150 ans de colonisation française. L’hébreu, langue morte pendant des siècles, est redevenu une langue officielle. La mort d’une langue n’est pas définitive.
Le rêve d’une langue universelle
Dans son désir de puissance et de gloire et afin d’atteindre le trône de Dieu, Nimrod fit construire la Tour de Babel . Son audace sacrilège fut punie par Dieu, qui décida de multiplier les langues afin de créer la confusion et le désordre entre les hommes. Certains vivent toujours dans la nostalgie de ce temps mythique où « Tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots » (Livre de la Genèse – chapitre 11).
Ils pensent que la promotion du multilinguisme est un obstacle aux dialogues interculturels, à l’échange des pensées différentes, à la compréhension de l’autre et au final à l’épanouissement de la diversité des cultures. Ayant particulièrement souffert du clanisme ethnique qui sévissait dans le gettho de Białystok, ville cosmopolite de son enfance, Ludwik Lejzer Zamenhof, avait le désir de réunir l’humanité et d’effacer le châtiment de Babel en élaborant l’Esperanto. Malheureusement la langue universelle est un rêve.
Se préserver de l’informe globish
Sommes-nous obligé de choisir entre une langue véhiculaire internationale, justifiée par l’efficacité et imposée par l’économie dominante, ou le repli sur sa langue maternelle, légitimée par l’identité et les traditions héréditaires? La technologie informatique et les outils numériques devraient nous permettre de sortir de ce dilemme et de faire cohabiter ces deux options. Rappelons que 113 langues sont inscrites et peuvent déjà être traduites quasiment instantanément sur Google et ainsi de nous préserver de l’informe globish .
JPB