« Nous sommes maltraités par le gouvernement »

Après six semaines de grève contre la réforme des retraites, le barreau de Paris a voté la reconduction du mouvement pour une semaine. Jean-François Mortelette, bâtonnier de l’ordre des avocats de Blois, apporte un éclairage sur la grogne des avocats face au projet de loi et les risques de dérives qu’il fait peser sur la profession et le système judiciaire français.

Jean-François Mortelette
bâtonnier de l’ordre des avocats de Blois. ©Jean-Luc Vezon

Jean-Luc Vezon : Où en est le mouvement de grève des avocats contre la réforme des retraites ?

Jean-François Mortelette : Nous en sommes à 6 semaines de grève. Une telle mobilisation ne s’est jamais vue depuis l’apparition des ordres, il y a 8 siècles. Le barreau de Paris a voté, il y a deux jours la reconduction du mouvement pour une semaine. Celui de Blois sera en AG lundi prochain. J’étais hier à l’Assemblée nationale avec 100 autres bâtonniers. Nous avons rencontré des représentants de LREM sans aboutissement. Nous avons aussi été reçus par le groupe Les Républicains  qui soutient notre position même s’il va voter le projet de loi. Nous sommes donc dans une impasse. La garde des sceaux nous fait des propositions compliquées et intenables. Sur le fond, le gouvernement n’a pas fait d’étude d’impact et veut faire voter la loi avant de connaître les conclusions de la conférence de financement.   

 J-L.V. : La hausse de vos cotisations de retraite (de 14 % à 28 %) est donc toujours envisagée ?

J-F M. : Oui. On nous dit que les pensions des avocats percevant moins de 32.000 € de revenus augmenteraient de 13 % et que la hausse des cotisations sera compensée par un abattement de 30 % sur la CSG. Cela ne donne aucune garantie car le taux de cette taxe est fixé par la loi de finances. Dans les faits, le gouvernement ne fournit aucun élément de simulation (1). Il ne donne pas plus d’informations sur l’indice qui reste à créer par l’INSEE. C’est le flou artistique le plus complet. Je suis surpris cette méthode aux conséquences dramatiques pour notre profession et en particulier mes jeunes confrères.

J-L.V. : Quid de vos réserves ?

J-F M. : Le gouvernement veut faire main basse sur les 2,5 milliards d’euros de notre caisse autonome. Ces réserves sont d’ailleurs une obligation pour garantir les pensions de nos retraités. C’est oublier  que nous reversons chaque année de 80 à 100 millions au régime général de la sécurité sociale. Je crois sur le fond que le gouvernement veut attaquer notre indépendance et promouvoir une justice à l’anglo-saxonne. J’en veux pour preuve « le cavalier législatif », modifiant les modalités de la protection juridique, qu’il veut faire passer sournoisement.     

J-L.V. : Il y a 70 000 avocats en France. Est-ce suffisant ?

J-F M. : Clairement non. Mes confrères sont bien plus nombreux dans les autres pays d’Europe où la justice est dotée d’effectifs et de moyens plus élevés (2). Et où les avocats disposent d’une caisse autonome. Nous avons le sentiment que le gouvernement considère que nous sommes trop nombreux. In fine, ce qu’il veut c’est que la justice coûte moins cher. C’est dramatique dans le pays de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Un pays qui perd ses avocats perd sa démocratie. Tout cela s’ajoute à la loi de programmation et de réforme pour la justice. Nous sommes maltraités.  Nicole Belloubet va nous faire aimer Rachida Dati (3) !

 

Propos recueillis par Jean-Luc Vezon 

(1) Celui qui figurait sur le site de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF) a du être retiré.

(2) En Europe pour les avocats,  la France pointe à la 20ème place, avec près de 94 avocats pour 100 000 habitants. Ils sont 368 en Italie, 291 en Espagne et 202 en Allemagne (source commission européenne).

(3) En 2007, l’ancienne garde des sceaux avait mené une réforme de la carte judiciaire aboutissant à la suppression d’une juridiction sur 4.

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