La mémoire de Simone Veil a été évoquée ce mardi 4 février de façon très émouvante au Cercil-Musée Mémorial des Enfants du Vel d’Hiv d’Orléans, avec la présentation de L’aube à Birkenau (éditions les arènes). Dans ce livre sorti à l’automne, on trouve notamment le récit bouleversant de ses 13 mois de déportation, reconstitués à partir de quinze ans de conversations avec David Teboul, invité par le Musée et qui s’est exprimé devant une salle comble.
Hommage à Simone Veil au Panthéon, le 1er juillet 2018 .©SD
Cet ouvrage, singulier à plus d’un titre, comme nous le verrons plus loin, est avant tout né d’une promesse faite par un jeune homme, David Teboul, à l’une des personnalités préférées des Français. Ce cinéaste-photographe a été l’un des acteurs de l’hommage solennel de la Nation à Simone Veil le 1er juillet 2018, lors de son entrée au Panthéon avec une proposition originale : celle de donner à entendre lors de la minute de silence « l’aube » au camp d’Auschwitz-Birkenau (d’où le titre du livre). Pour cela, le réalisateur a passé deux nuits sur place pour capter les « bruits » du camp. Pour David Teboul, l’entrée d’une personne déportée au Panthéon était essentielle après celle de résistants : Jean Moulin en 1964, puis en 2015 l’Orléanais Jean Zay, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion et Pierre Brossolette. Puis ce sera au tour des Justes de France d’être reconnus le 18 janvier 2007 avec l’hommage du président de la République Jacques Chirac et l’apposition d’une plaque dans la crypte du Panthéon dédiée aux 2 700 Justes de la Nation et aux héros anonymes qui ont sauvé des milliers de juifs de la mort, pendant la seconde Guerre Mondiale.
« Simone Veil a libéré le petit garçon juif que j’étais de la culpabilité de la Shoah »
Mais avant de la rencontrer « pour de vrai », David Teboul découvre Simone Veil à 12 ans, le mardi 6 mars 1979, lors d’un débat télévisé « des dossiers de l’écran ». L’émission est alors consacrée à « la vie et mort dans les camps » avec la diffusion du dernier épisode de la série américaine Holocauste. Un sujet encore très peu abordé dans les années 70. Invitée sur le plateau, Simone Veil salue la diffusion du téléfilm parce qu’il aborde frontalement le sujet de la déportation mais récuse la vision aseptisée de l’univers des camps, avec des déportés solidaires : « Le vol des vivants comme des morts était une pratique courante », explique-t-elle alors.
David Teboul au Cercil musée-mémorial des enfants du Vel d’Hiv ©SD
Cette série et ce débat sont un véritable choc pour le jeune David Téboul : « Simone Veil a changé mon rapport à ma propre judéité. En 1979, je ne devais pas dire que j’étais juif. Il y avait une véritable honte de la Shoah. Contrairement aux résistants, ce n’était pas un acte héroïque d’avoir été déporté. » Dès lors, Simone Veil va devenir une personne centrale dans la vie du jeune homme qui déclare alors : « Quand je serai grand, je la rencontrerai et je ferai un film sur elle. »
« C’est votre chignon qui m’intéresse »
A trente ans, il tente d’obtenir un rendez-vous, mais les premiers contacts sont rudes. Au téléphone, Simone Veil fait répondre par sa secrétaire qu’elle n’est pas du tout intéressée par son projet de film sur elle. Mais devant son insistance , elle finit par saisir le combiné : « Venez demain à 8h30 à mon bureau. Je vous accorderai dix minutes, soyez à l’heure s’il vous plait mais de toute façon ma réponse est non. » Comme le raconte avec humour David Teboul, c’est elle qui sera en retard et cet entretien qui sera suivi de beaucoup d’autres va en fait durer trois heures. Quand elle lui demande : « Qu’est-ce-qui vous intéresse chez moi ? », il répond : « Votre chignon, madame ». Sans le savoir, il vient de toucher une corde sensible. Elle lui confie alors qu’aucune femme de son convoi n’a été rasée totalement et que cela lui a sauvé la vie (Simone Veil fait allusion à l’attitude d’une chef du camp qui la sort du rang : « Tu es vraiment trop jolie pour mourir ici. Je vais faire quelque chose pour toi, en t’envoyant ailleurs. ») Simone Veil a alors 16 ans.
Des entretiens restitués sans le filtre de l’écriture.
Une amitié solide de 15 années va ensuite se nouer entre eux, avec de nombreuses rencontres et toujours en toile de fond la vie dans les camps : « C’était Simone Jacob (son nom de jeune fille) qui me parlait. C’était une survivante, elle n’est jamais sortie des camps. » Simone Veil lui fait promettre de faire « quelque chose » de ces entretiens. David Teboul va tenir parole doublement avec un documentaire en 2004 Simone Veil, une histoire française puis ce livre L’aube à Birkenau qui reconstitue, « sans le filtre de l’écriture » le récit précis mais sans haine de sa déportation avec sa mère Yvonne et sa sœur Milou. Un récit non pas pour faire comprendre le quotidien dans les camps, « une expérience intransmissible », dit-elle, mais pour « transmettre la mémoire contre l’oubli ». D’ailleurs, comme le rappelle Hélène Mouchard-Zay, fille de Jean Zay et présidente du Cercil Musée Mémorial des enfants du Vel d’Hiv : « Simone Veil était à nos côtés dès la première exposition du Cercil en 1992 et en 2011, ainsi que Jacques Chirac, pour l’inauguration des locaux actuels du Mémorial. » (voir Mag Centre 30/06/2017)
Des photos au plus près des émotions et des tête-à-tête émouvants
David Teboul dans la salle des photos des enfants du Vel d’Hiv – Cercil Orléans©SD
Ce livre, ce sont aussi des clichés de Simone Veil enfant avec sa famille. Des photos aussi de David Teboul, pris en très gros plan notamment à Auschwitz. D’autres, enfin, illustrent des rencontres en duo avec sa sœur Denise (déportée en tant que résistante), avec Marceline Loridan-Ivens (« sa copine de Birkenau ») et avec Paul Schaffer rencontré à Brobek, un petit camp qui jouxtait Auschwitz.
David Teboul a un seul regret, ne pas avoir osé demander à Simone Veil : « À quoi pense-t-on quand on se réveille à Auschwitz ? » L’aube à Birkenau sans y répondre, bien sûr, y fait subtilement allusion.
Sophie Deschamps