Dr Jean Paul Briand
Dans la discrétion, le Sénat amende le projet de loi bioéthique avant sa seconde lecture par les députés. Une manifestation s’est tenue le dimanche 19 janvier 2020 dans les rues de la capitale afin de dénoncer cette nouvelle loi et demander sa réécriture. Pour les manifestants, il existe un risque eugénique irréfutable et le spectre de l’autorisation prochaine de la gestation pour autrui (GPA) accompagnée de la marchandisation de la procréation.
Illustration présentant les différents stades d’une injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde, une des techniques d’une fécondation in vitro (FIV).
L’eugénisme est un marché auquel la France souhaite participer
Dans la précédente loi, il était écrit : « La conception in vitro d’embryon ou la constitution par clonage d’embryon humain à des fins de recherche est interdite. La création d’embryons transgéniques ou chimériques est interdite ». Dorénavant, il est inscrit dans la nouvelle loi que « la création d’embryons chimériques est interdite lorsqu’elle résulte de la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces ou de la modification d’un embryon animal par adjonction de cellules souches embryonnaires humaines.
La modification d’un embryon animal par adjonction de cellules souches pluripotentes induites d’origine humaine est subordonnée au respect des dispositions du II de l’article L. 2151-7 ». En biologie, une chimère est un organisme crée à partir de caractères génétiques de deux génotypes différents. Ainsi, la nouvelle loi va autoriser, à des structures à but lucratif, la création et la modification génétique d’embryons humains à des fins de recherche médicale et thérapeutique. Cette justification iatrique peut être considérée comme un leurre voire une fumisterie. C’est comme si les courses de F1 étaient justifiées par la prévention routière et la lutte contre les accidents de la voie publique. Pourquoi ne pas dire ouvertement que l’eugénisme est une science assumée et contrôlée mais aussi un marché auquel la France souhaite participer. (http://www.magcentre.fr/184330-leugenisme-fait-partie-integrante-de-nos-moeurs/).
L’éthique devra s’accommoder
En France, légalement, le corps humain ainsi que les éléments qui le composent, sont hors du champ du commerce. Néanmoins, il se développe à l’échelle mondiale la généralisation du copyright des brevets du vivant humain, à laquelle n’échappe pas notre pays. La rémunération du chercheur, reconnu comme l’inventeur d’une avancée génétique, est acceptée. A contrario, la personne dont un élément du corps a permis la découverte et le brevet ne perçoit rien officiellement. Les lois du marché du monde libéral dans lequel nous vivons, ne permettra pas que cette situation dure éternellement…
L’éthique devient un obstacle au fur et à mesure que l’ingénierie génétique se développe. Deux logiques sont en compétition : La première logique appartient au monde néolibérale. Elle est basée sur la liberté individuelle et le profit. Elle défend la satisfaction personnelle du désir d’un enfant parfait d’une part et l’assouvissement du désir de notoriété scientifique et rémunératrice d’autre part. La deuxième logique se veut collective et morale. Elle met en avant la protection des droits à l’intégrité et à la dignité de l’être humain accompagnée du refus que le lucre s’empare de la procréation. La législation internationale n’interdit pas la commercialisation des brevets propres au vivant humain. Le marché mondial va rapidement gérer les biotechnologies du vivant humain et l’éthique devra s’en accommoder…
Une nouvelle forme d’esclavage ou de prostitution
Des militants, qui se considèrent sincèrement de gauche, combattent les inégalités liées à la richesse. Pourtant nombre d’entre eux acceptent que parmi les plus pauvres, des femmes, afin de survivre, vendent leur utérus et deviennent des incubateurs pour des couples fortunés en désir d’enfant. En France, le négoce clandestin des mères porteuses est un marché organisé avec ses recruteurs en ressources humaines, ses intermédiaires. Pour s’en convaincre, il suffit de revoir le documentaire « Envoyé spécial » diffusé le jeudi 31 janvier 2019 sur France 2 (). Sur internet, ils existent des sites remarquablement bien construits qui «garantissent la grossesse d‘une mère porteuse et la naissance d’un bébé en bonne santé » (). Le coût de leur produit est déclaré sans détour avec la possibilité de choisir un service low-cost plus abordable. Ce commerce lucratif du corps féminin ne peut-il pas s’apparenter à une nouvelle forme d’esclavage ou de prostitution ?
La logique du tout-marché corrompt et pollue
Il ne serait que justice qu’un enfant « fabriqué » par GPA hors de France, de parents français, ne soit plus apatride ou considéré officiellement sans parents. Dans l’intérêt de l’enfant, le statut de « parents d’intention », tel qu’il existe dans de nombreux pays, sera logiquement reconnu de plein droit par la législation française d’ici quelques temps. Les parents ayant eu recours à une GPA à l’étranger seront alors les parents légaux. La reconnaissance prochaine de la GPA est incontournable…
La contraception, le droit à l’avortement, la PMA pour toutes les femmes, les modifications génétiques thérapeutiques et bientôt la GPA, sont considérés majoritairement comme des progrès scientifiques et sociaux. Celles et ceux qui n’y voient que dévoiements sardanapalesques ou dérives révoltantes de chercheurs insensés, cupides et sans éthique sont minoritaires. C’est l’ordre du monde, avec sa logique du tout-marché, qui corrompt et pollue ces avancées libératrices. Ferrailler contre la loi bioéthique, c’est se tromper de combat.
« O exécrable faim de l’or, jusques où ne forces-tu point de se porter le cœur des hommes »
(Auri sacra fames, quid non mortalia pectora cogis – Virgile)
Jean-Paul Briand