En mémoire des morts de Charlie Hebdo, nous republions le billet de Magcentre de ce 7 janvier 2015 contre ce terrorisme qui frappait d’autres journalistes au cœur de Paris, mais aussi deux jours plus tard les clients anonymes de l’HyperCasher de la porte de Vincennes.
Paru le 7 janvier 2015
Il fut une époque où les envoyés spéciaux partis en guerre pour couvrir les conflits mouraient comme des soldats. Sur le terrain des batailles près des bidasses. Sans armes, mais avec leurs appareils photographiques, leurs caméras, leurs micros ou leurs stylos. L’équipe de Charlie Hebdo, qui vient d’être décimée dans sa propre salle de rédaction, aurait préféré ce type de mort à celle qu’elle a violemment subie. Dans leur propre bureau, comme des fonctionnaires morts en plein travail, en conférence de rédaction, auraient-ils ironisé, avec cynisme.
La nouvelle tombée, au lendemain des vœux, est funèbre et funeste. La presse, cette presse plus iconoclaste que les autres, a payé, dans le sang, son humour informatif, ses coups de crayon pacifiques face à une mitraillette rageuse ou ravageuse, son désir d’informer d’une autre manière que ses confrères des autres médias. On ne lisait pas Charlie comme on dégustait Le Monde, même si on pouvait faire les deux. On enviait Cabu, Wolinski, Charb, feu Cavanna et encore plus feu le professeur Choron quand ils projetaient leur bile à la une de cet hebdomadaire que les mères de famille évitaient de montrer à leurs enfants en passant devant les kiosques à journaux, ou du moins ce qu’il en reste. On se sentait de l’équipe même hors les murs. Ils faisaient partie de la famille, même si on n’était pas toujours d’accord avec leurs positions et idées quand ils poussaient le bouchon de beaujolais nouveau un peu trop loin.
Cet esprit frondeur, issu de mai 68, qui avait survécu à des censures, à des procès, à des menaces de saisies, à des fermetures de robinet financier de la part des banques, et à bien des histoires dans les familles, qu’elles soient politiques ou non, ne pouvait être que tué, abattu comme un animal. Ce qui le fut ce mercredi 7 janvier, jour de sortie de ce qui demeurera à jamais le dernier numéro d’une presse encore libre et démocratique. Car rien, vraiment rien, ne sera dorénavant plus comme avant. Pierre Desproges, fan de Charlie, avait raison de dire qu’on pouvait rire de tout, mais pas avec n’importe qui. On ne peut plus rire de tout et surtout pas du terrorisme. Sous peine de voir des balles tragiques traverser les champs de paix ou de concorde entre les hommes et rajouter des noms au nouveau monument érigé à la mémoire des morts occis par la bêtise fanatique et aveugle.
Albert Lapeste.