Henri Jamet, itinéraire d’un peintre giennois

Exposition très réussie organisée par les villes d’Eguzon et de Gien sous le commissariat de Christian Jamet, homme de l’art orléanais. Partageant pour l’essentiel son activité d’artiste entre Montmartre et la vallée de la Creuse, celle de professeur de peinture entre Paris, Orléans et Chateauroux, Henri Jamet, natif de Gien (1858-1940), fut en son temps “un artiste à succès”, plusieurs fois récompensé lors de nombreuses exposition auxquelles il a participé à Paris comme en province. 
 

Le Devoir Henri Jamet MBAO

“Résolument classique mais sans rigidité dogmatique face à la modernité”, explique Christian Jamet, cet artiste se révèle selon le titre de l’une de ses toiles, tel “un peintre de la vie paisible “particulièrement “attentif aux effets de la lumière”.
Regroupant des œuvres issues de musées et de collections particulières, cette exposition invite à redécouvrir “un maître attachant et talentueux à travers la diversité des genres qu’il a pratiquée.” 
 
JDB.
 

Interview de Christian Jamet commissaire de l’exposition

MC Vous êtes à l’initiative de cette redécouverte du peintre Henri Jamet mais vous n’en êtes pas parent ?

Christian Jamet Photo GLG

CJ C’est une simple homonymie effectivement, et je n’ai pas choisi ce peintre par narcissisme. Tout est parti d’une aquarelle  que j’avais achetée à Limoges il y a plusieurs années, je ne l’ai jamais exposée et je l’ai retrouvée dans un carton à dessins. Au dos de cette aquarelle, il était écrit: “Henri Jamet, peintre natif de Gien, mort à Gargilesse” et ces dates 1858-1940. Je ne me rappelais plus dans quel contexte je l’avais achetée, mais puisque je l’avais acheté à Limoges, ce devait être un peintre la vallée de la Creuse, de l’école de Crosant; et puis j’ai feuilleté l’ouvrage de Christophe Ramet sur les peintres de Crosant et il y avait dans cet ouvrage un article très bref concernant Henri Jamet.

On y apprenait que Henri Jamet était un peintre académique, venu à Gargilesse pour peindre des paysages mais qu’il n’avait jamais pris de distance par rapport à la peinture académique même au cœur de la vallée de la Creuse. Et de là j’ai mené une enquête qui a été très longue…

MC Et c’est cette enquête qui a permis de retrouver les tableaux ?

CB Des tableaux bien sûr mais aussi des documents avec un long travail de bibliothèque et d’archives  et concernant les tableaux ce n’était pas particulièrement facile parce que beaucoup sont dans des collections particulières et ceux qui se trouvent dans des musées n’étaient pas accessibles. J’ai eu la chance de me voir ouvrir les portes  de la famille Jamet, puisque une de ses petites filles, Francine, vit à Gargilesse, elle est la fille de Pierre Jamet, le harpiste, et la sœur de Marie Claire Jamet elle aussi harpiste, qui à 86 ans ne joue plus, mais qui a mené une carrière internationale tout à fait extraordinaire. De plus  Pierre avait un frère, Charles, et j’ai rencontré la petite fille de Charles, donc l’arrière petite fille du peintre, Bernadette Jamet qui vit à Amboise. Et des deux cotés m’ont été ouvertes les archives de la famille, j’ai donc pu travailler sur des documents, sur des photographies, des lettres, des cartes postales. Et j’ai pu voir à Gargilesse, chez Francine Jamet, quantité de tableaux, des paysages, des portraits etc…

“Le Déclin” (les parents giennois de l’artiste) cl ACD

Mes pas m’ont ensuite conduit à Gien où je savais, pour avoir lu un article assez ancien dans la presse locale, qu’il y avait eu des travaux de restauration sur des tableaux qui n’étaient plus visibles. J’ai donc demandé rendez-vous à Nadine Quaix, maire adjointe de Gien en charge de la culture, et vice-présidente du Conseil Départemental, qui m’a fort bien accueilli et à qui j’ai présenté mon projet de livre qui était alors encore à l’état embryonnaire…

J’ai eu ensuite la chance de découvrir une vingtaine de tableaux d’Henri Jamet que personne ne voit ordinairement car ces tableaux sont conservés dans les archives de la mairie de Gien, le public ne peut pas les voir et n’en profitent que les archivistes. Il y en a deux qui sont exposés dans le bureau du maire et un autre très beau qui fait partie de l’exposition, dans le bureau de madame  Quaix.

MC De là, cette exposition qui retrace l’intinérance d’Henri Jamet ?

CJ Henri Jamet a bien sûr des attaches avec Gien et la vallée de la Creuse, mais aussi avec Orléans où il a été professeur de peinture pendant plus de trente ans: il venait tous les samedis pour donner des cours et il exposait avec les peintres orléanais, considéré dans la presse de l’époque comme un artiste orléanais. Il exposait a peu près tous les ans au Salon des artistes français en tant que sociétaire, il était donc attaché à la fois au Loiret mais aussi à Montmartre où il avait un atelier  et bien sûr au Berry avec Gargilesse.

“La Convalescente” MBAO cl ACD

Dans mon livre, qui est la base scientifique de l’exposition, je ne le présente pas comme un peintre académique: il est issu de l’académisme  puisque Jean Léon Gérôme a été son maître lequel disait de l’impressionnisme que c’était le déshonneur de l’art français !  Mais ce furent également de grands peintres et le musée d’Orsay a complètement réhabilité ces peintres que l’on considérait comme des peintres sans originalité, on les a même affublé du nom de “Pompiers” en oubliant leur talent. Henri Jamet s’inscrit évidemment dans ce courant, mais je le qualifierais plutôt de classique: il reste fidèle à cet esprit  de l’Ecole des Beaux Arts, le dessin a une grande importance, et s’il ne va pas vers une peinture d’avant garde, il n’a pas de rigidité dogmatique face à la modernité. Dans certains de ses tableaux on voit par exemple qu’il opte pour la touche impressionniste dans des scènes de genre dont il fut un grand peintre. On découvre ainsi un peintre tombé dans l’oubli en dépit du succès qu’il a connu de son vivant. Après avoir reçu la Médaille de Bronze à l’Exposition Universelle de 1900, son tableau “Famille de tisserands” a été choisi par la ville de Paris pour décorer le bureau du Président du Conseil, tableau que l’on ne voit plus non plus et c’est bien dommage..

MC Quelle est la peinture de Henri Jamet ?.

CJ Henri Jamet témoigne d’un regard très aiguë sur les “petites gens”, et au fond, il m’a rappelé le peintre orléanais Antigna de la génération précédente. Il est finalement intéressant de constater qu’entre Antigna et Henri Jamet, deux Loirétains, le regard sur le monde paysan témoigne d’une évolution sociologique: les paysannes d’Antigna  sont pieds nus, vêtues de haillons, c’est cette femme morte portant son fagot (au Musée des Beaux Arts d’Orléans ndlr) au pied d’une croix sous la neige, c’est la misère! Dans les années 1900 jusqu’en 1930 on voit des paysans du Berry peints par Jamet, dont les vêtements sont en bon état, des paysans certes pauvres mais plus misérables, avec des intérieurs qui témoignent toujours d’une grande attention  au réel, au détail, ce souci de précision qui émane de sa formation. Et ce n’est pas un regard condescendant, ce n’est pas le peintre parisien qui vient voir des indigènes berrichons, il est lui-même issu d’un milieu modeste, son père était matelassier, il est resté très proche de ses origines même s’il s’est inévitablement embourgeoisé […]

Evidemment il ne s’agit pas d’un peintre intellectuel, c’est un peintre qui porte sur le réel un regard simple, attendri, qui communique son propre affect, qui exalte le bonheur d’aimer,  le bonheur de la famille, mais aussi la beauté des paysages berrichons  et c’est dans le paysage qu’il a témoigné dans le fil de sa carrière d’une audace de plus en plus grande en sacrifiant à la couleur: Henri Jamet est un coloriste et un peintre de la lumière qu’il n’a peut-être pas rendue avec cette touche divisée des impressionnistes, mais qui montre qu’il y a chez lui rien de fermé ni de dogmatique, ce qui est finalement tout à fait contraire à ce que l’on appelle l’esprit académique: il est faut de le qualifier ainsi, c’est un peintre classique qui ne pousse pas très loin ses hardiesses mais qui rest tout à fait attachant par son talent et par sa thématique.

Propos recueillis par Gérard Poitou

“Henri Jamet, itinéraires d’un peintre giennois”,

Hall d’exposition de l’espace culturel, 8, rue Gorges Clémenceau, Gien.
Jusqu’au 16 février. Fermé le lundi. Ouvert les autres jours de 14 heures à 18 heures.Renseignements: 02.38.29.87.97.

“Henri Jamet (1858-1940) entre Montmartre et la vallée de la Creuse : itinérances d’un peintre giennois”
par Christian Jamet

Les Ardents Editeurs 28 €

 

 

Hall d’exposition de l’espace culturel, 8, rue Gorges Clémenceau, Gien. Jusqu’au 16 février. Fermé le lundi. Ouvert les autres jours de 14 heures à 18 heures. Beau catalogue (Ardents Editeurs). Renseignements: 02.38.29.87.97.

 

Commentaires

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  1. nous redécouvrons ainsi un peintre régional grâce à la pugnacité d’un chercheur et de son assistant !! Quel travail de longue haleine!!…de quoi rendre jaloux d’aucun dont ce devrait être le travail …

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