Le festival Cannes 39 a remis ses prix au théâtre d’Orléans, il y a déjà dix jours, mais le succès public de cet événement ne saurait occulter un deuxième événement qui en constituait le volet historique, le colloque qui s’est tenu durant trois jours à l’hôtel Dupanloup, colloque intitulé “Cannes 39, rêver un festival” réunissant une trentaine d’historiens et contributeurs. Ce colloque prolongeait donc le festival public pour mieux cerner le contexte politique, diplomatique et cinématographique dans lequel s’inscrivait l’action de Jean Zay, mais aussi interroger l’oubli historique du rôle fondateur du ministre de l’Education Nationale dans cet événement.
Antoine de Baecque en compagnie d’Amos Gitaï président du jury Cannes 39
Antoine de Baecque, historien et enseignant à l’ENS, animateur de ce colloque mais aussi très actif dans la préparation et le déroulement du Festival Cannes 39 en tant que président du Comité Cannes 39, nous fait part dans la voiture qui le reconduit à la gare des Aubrais, de ses impressions après ce double événement.
MC. Quel est votre sentiment après ces quinze jours à Orléans ?
AdB Moi ce qui m’a frappé, surtout au moment du festival, c’est la ferveur, l’enthousiasme et la présence du public, je crois qu’il y a eu 32.000 spectateurs dans les différentes salles durant les six jours du festival. Et ici à l’hôtel Dupanloup, ce n’était pas un évènement public de la même dimension, un colloque c’est d’abord un événement d’historiens et d’historiens du cinéma, mais il y avait aussi présents, durant les trois jours du colloque, une cinquantaine de personnes qui s’intéressent à ce sujet, et on voyait un intérêt très fort.
Je crois que c’est important pour les historiens, puisque moi je suis historien, et pour beaucoup de gens qui ont organisé, participé, présenté les films pendant le festival et présenté des communications durant ces trois jours de colloque. Les historiens travaillent beaucoup dans leur coin, ils font “progresser” l’historiographie, les études, (et le Festival Cannes 39 est devenu un véritable objet d’histoire du cinéma, ça a été montré durant ces trois jours de colloque), mais les historiens ont besoin aussi d’avoir une réception dans la société, dans l’opinion, dans les média et c’était très encourageant pour la communauté des historiens de voir que l’on pouvait susciter cet intérêt, aller à la rencontre d’un public qui n’est pas celui habituel de nos colloques: l’entre soi des universitaires était tout à coup bousculé, dans le bon sens du terme, par une curiosité venue d’un horizon beaucoup plus large, et pour moi c’est la leçon de ces deux événements, le festival et le colloque.
MC On peut dire que l’histoire nourrit la mémoire ?
AdB Oui, l’autre aspect très important de ce double événement, c’est la manière dont Jean Zay et la fondation d’un événement comme le Festival de Cannes en 1939 sont advenus à la surface de la mémoire, les historiens ont fait leur travail et sont encore en train de le faire, et tout à coup grâce au public, grâce aux médias qui ont relayé le festival, que l’on soit lecteur de Télérama, du Monde, ou d’un média orléanais, on sait que Jean Zay a fondé le Festival de Cannes en 1939. C’est quelque chose qui évidemment me rend assez fier de faire revenir à la mémoire, à la conscience, cette histoire, parce que cela dit quelque chose aussi à nos contemporains, ce n’est pas seulement un événement de l’Histoire, c’est comme une sorte de réparation, on répare quelque chose qui a été enfoui. Il y a quatre vingts ans qui parlent toujours aujourd’hui, aussi bien quand 900 personnes se réunissent pour voir un “vieux” film d’il y a quatre vingts ans, c’est quelque chose que je trouve très réjouissant, mais aussi la signification de l’engagement pour la culture tel que Jean Zay l’avait, notamment lorsqu’il fonde le festival de Cannes, ça dit quelque chose d’important pour aujourd’hui.
MC Et c’est important que cela se passe à Orléans?
AdB Je pense que c’est un des éléments du succès, je pense qu’il y a eu une véritable fierté des Orléanais, une sorte de patriotisme au bon sens du terme, dans ce succès; Tout à coup, les Orléanais étaient à la fois étonnés de savoir que c’était un Orléanais qui avait fondé le festival de Cannes il y a quatre vingts ans et puis fiers et aussi surpris que tant de gens en parlent, de se retrouver aussi nombreux dans une salle d’abord et ensuite d’ouvrir Le Monde et de découvrir une page sur cet événement: le patriotisme local se nourrit aussi de cette fierté-là.
MC Et la suite ?
Si on fait le bilan de ces deux événements, on s’aperçoit que ça a suscité évidemment à tous les niveaux à Orléans, une attente. La suite ça pourrait être un festival qui réunissent les deux principaux éléments du succès de cet événement, d’un coté la curiosité pour le patrimoine cinématographique, voir des films anciens peut attirer du monde, et puis d’autre part l’engagement civique, politique, culturel, qui a été celui de Jean Zay et qui là aussi a été un des aspects forts de ce festival . Un festival qui porterait aussi bien la curiosité pour le patrimoine cinématographique que la nécessité d’un engagement politique à travers la culture, voilà ce qui serait, je crois, très attendu à Orléans.
Propos recueillis par Gérard Poitou