Ce mercredi 20 novembre 2019, le gouvernement a communiqué sur son nouveau plan de sauvetage de l’hôpital en pleine crise. Comment en est-on arrivé là ?
par Jean-Paul Briand
Les soins hospitaliers sont le premier poste de dépenses
pour la Sécurité sociale et l’État
Rappelons que le budget de la santé est considérable. En 2018, la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) est évaluée à 203,5 milliards d’euros, alors que le budget général de la France est de 329,6 milliards d’euros. La Sécurité sociale finance la CSBM à hauteur de 78 %, les organismes complémentaires pour 13,5 % et le reste à la charge des ménages est de 7 %. Les quelques centiles manquants sont partagés par diverses collectivités. Les dépenses annuelles de l’hôpital public, endetté à hauteur de 30 milliards d’euros, se situent autour de 80 milliards d’euros. La prise en charge par la Sécurité sociale des dépenses du secteur hospitalier est en augmentation depuis 2013. En 2018, elle a atteint près de 92% avec un reste à charge pour les familles de moins de 2%. Les soins hospitaliers sont ainsi devenus le premier poste de dépenses pour la Sécurité sociale et l’État.
La T2A piège l’hôpital dans une situation sans issue
Pour les gouvernances néolibérales, après avoir mis en place la « désertification médicale » afin de diminuer l’offre en médecine de ville, il est évident que les plus importants gisements d’économie se trouvent à l’hôpital. Toutes les dernières réformes de la politique de santé vont ainsi contraindre l’hôpital à un resserrement budgétaire et à la mise en concurrence des établissements à travers la tarification à l’activité, connue sous l’acronyme T2A. Dans ce système, la Sécurité sociale ne finance plus les structures, mais le volume et la nature des actes pratiqués en établissements hospitaliers. Ce système incite à une intensification parfois discutable des activités de soins, au tri des patients et à une pression accrue sur le personnel soignant. En théorie, avec la T2A, une augmentation d’activités entraine plus de recettes et logiquement plus de personnels et de possibilités d’investissements. Paradoxalement, comme il faut tenir une enveloppe budgétaire de plus en plus serrée, les pouvoirs publics baissent unilatéralement les tarifs lorsque l’activité globale augmente. La T2A piège l’hôpital dans une situation sans issue.
Socialisation des activités non rentables
et privatisation de celles qui procurent des bénéfices
Quelles sont les conséquences pour les hôpitaux d’une telle politique ? C’est une recherche de gain de productivité avec une intensification du travail des soignants qui subissent une pression énorme et sont de plus en plus débordés et épuisés. Ces conditions délétères de travail sont souvent accompagnées d’une dégradation de la qualité des soins, d’un allongement des temps d’attente pour les patients. Il s’observe alors une fuite des patients les mieux lotis financièrement vers les établissements privés et le secteur 2 dit à « honoraires libres ». De nombreux autres facteurs intensifient la crise hospitalière actuelle :
- la pénurie de praticiens en médecine de ville, accompagnée d’une volonté des nouveaux médecins de diminuer leur temps de travail par rapport aux anciennes générations et aussi de moins en moins participer aux gardes pour les soins non programmés ;
- le vieillissement de la population et la crise des établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ;
- l’état d’abandon de l’hospitalisation psychiatrique ;
- l’aggravation de la paupérisation.
En plus des urgences médico-chirurgicales authentiques, l’hôpital doit aujourd’hui assurer toutes les urgences sociales, psychiatriques, les soins pour les plus démunis et pour ceux qui n’ont pas de médecin traitant. Après les généralistes, l’hôpital est devenu la variable d’ajustement des carences du système de soins français. Les établissements privés se concentrent sur les problèmes de santé les plus lucratifs du point de vue de la T2A, c’est-à-dire les soins nécessitant des techniques spécialisées bien rémunérées et programmables à l’avance. Ainsi, la règle du monde libérale est respectée : socialisation des activités non rentables et privatisation de celles qui procurent des bénéfices.
Une des principales revendications est l’ouverture de lits d’aval
Ce n’est pas suffisant. Pour faire des économies, il faut « dégraisser » l’hôpital et fermer des lits et des services, sans l’annoncer clairement. Pour appliquer cette opération de purge hospitalière, un astucieux habillage est inventé : « le virage ambulatoire ». Cet adroit procédé, qui permet à un patient d’être opéré dans la journée sans passer la nuit à l’hôpital, est le prétexte à l’élimination surestimée de 1 000 à 1 200 lits chaque année depuis 2010. Près de 4.200 lits ont été ainsi supprimés en 2018. Ces suppressions de lits sont souvent suivies de fermetures de services, voire d’établissements hospitaliers de proximité car l’activité y est devenue insuffisante pour assurer la sécurité des soins. Afin de soulager les services dits d’urgence, une des principales revendications des grévistes est l’ouverture de lits d’aval.
Des propositions en décalage vis à vis des attentes
Après un retard de plus de 6 mois, le gouvernement s’imagine que les dernières mesures décidées, associées à une reprise partielle de la dette des hôpitaux, à une hausse de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) de 0,4% (passant de 2,1% à 2,5%) et la suppression du numerus clausus, vont changer durablement la donne. Avec son nouveau plan, le gouvernement essaye de faire éclater les revendications. Il souhaite avoir l’appui des médecins en leur promettant d’accéder au management des hôpitaux et en améliorant leur début de carrière par une rallonge salariale. Il propose des primes que tout le monde ne touchera pas, système générateur de frustrations. La reprise du tiers de la dette des hôpitaux ne leurs permettra pas de sortir des contraintes budgétaires subies depuis plusieurs années. Pour l’ONDAM, on est bien loin du compte quand on sait que les organisations syndicales demandaient 4% d’augmentation. La fin du numérus clausus ne se fera sentir que dans dix à douze ans, sous réserve que la capacité de formation des centres hospitaliers universitaires (CHU) soit augmentée. En réalité, il subsistera un numerus clausus non officiel décidé par les doyens des CHU. Ces derniers menacent déjà de bloquer la réforme s’ils n’obtiennent pas plus de moyens. Toutes les propositions sont en décalage vis à vis des attentes.
La crise de l’hôpital va se prolonger…
Les revendications des personnels hospitaliers en révolte étaient pourtant claires. Ils souhaitaient une augmentations des effectifs soignants, 300 euros d’augmentation de rémunérations pour l’ensemble des salariés et surtout un arrêt des fermetures et la réouverture de lits d’aval qui, à elle seule, permettrait de désengorger les urgences. Le Président et son Premier ministre avaient affirmé le 14 novembre dernier qu’ils avaient compris et entendu les difficultés des personnels des hôpitaux. Les demi-mesures annoncées, ne contentent personne. Elles ne calmeront pas la colère des urgences, ni ne pourront étouffer un incendie désormais étendu à tout le monde hospitalier. La crise de l’hôpital va se prolonger…