Les chasseurs de voile repassent régulièrement à l’offensive. L’hidjab, ou foulard islamique, ce voile porté par des musulmanes et qui couvre leur tête en laissant le visage apparent, est pour certain(e)s la cause d’une maladie obsessionnelle qui récidive périodiquement.
Le dévoilement des cheveux des femmes musulmanes devient alors, pendant quelques jours, un enjeu politique majeur voire une priorité impérieuse qui a l’énorme avantage de détourner l’attention des difficultés sociales que traversent actuellement notre pays…
Une réponse du Conseil d’État ambiguë
Le 11 octobre dernier, un élu du Rassemblement national (RN) a agressé une mère de famille voilée qui accompagnait un groupe d’élèves à une séance du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. La polémique autour des accompagnantes en hidjab, lors de sorties éducatives, est aussitôt relancée. Les sénateurs Les Républicains (LR) profitant de cette actualité, ont immédiatement soumis une proposition de loi (https://www.senat.fr/leg/ppl18-643.html) afin d’interdire les signes religieux lors des voyages scolaires. Cette initiative démagogique de LR est rendue possible car, en septembre 2013, la réponse du Conseil d’État sur ce problème, suite à une demande du Défenseur des Droits de l’Homme, fut malheureusement ambigüe (https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_avis_20130909_laicite.pdf). Le Conseil d’État a estimé d’une part que les mères voilées, accompagnant leurs enfants en sortie scolaire, n’étaient pas soumises à la neutralité religieuse, mais d’autre part que « les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente, s’agissant des parents qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».
Rappel de quelques éléments clivants
Rappelons brièvement plusieurs autres événements clivants sur ce même sujet :
- En mars 2012, notre actuel ministre de l’Éducation nationale, Jean Michel Blanquer, signait une circulaire afin d’« empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires» (https://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=59726)
- En février 2019, il y a eu la campagne contre le « hijab de running » qui obligea les magasins Décathlon à retirer cet article de la vente.
- En juillet 2019 eut lieu la chasse balnéaire des femmes en « burkini » (http://www.magcentre.fr/182458-itsi-bitsi-petit-burkini/).
Dévoiement d’un féminisme arrogant, perversion raciste de la laïcité
La défense de l’émancipation de la femme et l’atteinte à la laïcité sont les deux principaux arguments de cette guerre sainte contre le foulard islamique. Force est de constater que les anges gardien(e)s extrémistes de l’émancipation de la femme ou de la laïcité ne prêtent guère attention à l’opinion de celles qui s’exposent avec un voile. Leur combat contre l’hidjab est un dévoiement contre-productif d’un féminisme arrogant et méprisant pour celles qui le portent et une perversion aberrante et raciste de la laïcité.
Le signe d’une oppression de la femme
L’hidjab, peut choquer une certaine idée du féminisme. Il n’en demeure pas moins un choix individuel pour celles qui décident de se l’approprier en liberté. Il existe probablement des femmes contraintes de porter le voile sous les pressions organisées d’islamistes obscurantistes qui essaient d’utiliser la promotion de l’hidjab comme outil de l’islam politique. D’autres femmes le portent sans doute afin de se protéger des agressions de machos identitaires incultes voulant affirmer leur virilité d’un autre âge. Les féministes qui luttent contre le foulard islamique, sous prétexte que cet accessoire vestimentaire est le signe d’une oppression de la femme, feraient bien de relire Pierre Bourdieu (http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/Btele983.html) et de partir en croisade contre le port de la jupe, ce « corset invisible », manifestation de la domination masculine étudiée par le renommé sociologue (https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Domination_masculine)
Le port de l’hidjab n’est pas interdit
Le premier article de notre Constitution affirme que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction /…/ de religion ». Ce même article précise que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » qui « respecte toutes les croyances ». Il garantit la neutralité de l’État en matière de religion et consacre le principe de la liberté religieuse. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen mentionne que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre établi par la loi ». Le port du hidjab ne tombe pas sous le coup de l’article n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 (https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022911670&categorieLien=id) interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public et ne peut donc pas être prohibé, en tant que tel, par la loi française.
La laïcité reste un principe fédérateur
L’hidjab perturbe et indispose certain(e)s, comme les revendications féministes, l’homosexualité ou la couleur de peau le font pour les sexistes, les homophobes et les racistes. Projeter ses craintes sur cette pièce de tissu permet complaisamment de ne pas se remettre en cause, de ne pas lutter contre son incompréhension délétère de l’autre, voire son mépris et sa haine. Cette religion, symbolisée par l’hidjab, ne disparaîtra pas avec l’éventuelle interdiction du voile. Bien au contraire, son bannissement signerait le rejet des principes républicains, ferait le lit du communautarisme, du repli sur soi confessionnel et solidifierait le ciment identitaire du radicalisme religieux, autrement plus dangereux. N’en déplaise aux manipulateurs xénophobes et démagogues, la laïcité reste un principe fédérateur, rassemblant tous les citoyens en affirmant la neutralité de l’État en matière cultuelle et le droit pour chacun de croire ou de ne pas croire.
Lors de la discussion sur la loi du 9 décembre 1905, Aristide Briand déclarait dans un esprit de conciliation « toutes les fois que l’intérêt public ne pourra être légitimement invoqué dans le silence des textes ou dans le doute de leur exacte application, c’est la solution libérale qui sera la plus conforme à la pensée législative ». (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1131678?rk=21459;2). Ceux qui veulent politiser agressivement et interdire stupidement le fichu islamique ferait bien de s’en rappeler…
Jean Paul Briand