L’épopée polémique du glyphosate se poursuit : Le maire d’une commune rurale est traduit récemment devant le tribunal administratif pour avoir pris un arrêté anti-pesticide non conforme à la loi. Le gouvernement gagne du temps et demande, durant l’été, que l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) étudie à nouveau le dossier glyphosate. Une saga, symbole de la lutte entre écologie et productivisme agricole, où passions, démagogie, intérêts financiers et manipulations s’entrecroisent…
Par Jean-Paul Briand
Médecin retraité d’Orléans
Une molécule suisse dans le domaine public
En 1950 naquit en Suisse une molécule, baptisée glyphosate. Après sa commercialisation par la société Monsanto, elle devint mondialement connue en étant le principe actif de l’herbicide « Roundup ». Monsanto fut racheté en juin 2018 pour 63 milliards d’euros par Bayer, société chimique allemande. A partir de 2000, cette molécule tombe dans le domaine public. Aujourd’hui elle est synthétisée par plus de 40 sociétés et au moins 300 désherbants en contiennent.
Les propriétés remarquables du glyphosate
De nombreux agriculteurs apprécient le Roundup qui présente des propriétés remarquables : Il est le seul herbicide systémique et non-rémanent, efficace sur tous les végétaux. Le produit pulvérisé n’est actif que quelques heures. Les fiches toxicologiques de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles précisent les précautions à prendre pour son utilisation.
L’herbicide n’augmenterait pas le risque de cancer
En mars 2015, le Centre OMS de recherche sur le cancer (CIRC) le classe « cancérogène probable ». Le CIRC précise que l’estimation du risque pour la population générale est du ressort des agences de sécurité sanitaire. Ni l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), ni l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), ne suivent le diagnostic de l’agence de l’OMS. En novembre 2017, la revue scientifique « Journal of the National Cancer Institute » publie les données d’une étude américaine, basée sur l’intégralité des travaux mondiaux, selon laquelle l’exposition à l’herbicide n’augmenterait pas le risque de cancer.
Un poison cancérogène à interdire d’urgence
En France, les défenseurs de l’agriculture dite « conventionnelle », souhaitent qu’il soit tenu compte des réalités économiques des agriculteurs. En cas d’interdiction uniquement française du glyphosate, ils pointent la distorsion de concurrence entre les pays qui produisent avec des herbicides et qui exportent, en toute légalité, leurs productions. Ils signalent l’absence de preuves scientifiques formelles sur la nocivité du glyphosate, même s’il peut être présent dans les urines. Les pourfendeurs du glyphosate dénoncent la mainmise de « l’agro-business » sur ces mêmes agences sanitaires et présentent le glyphosate comme un poison cancérogène à interdire d’urgence.
Le lobbying malhonnête de Monsanto
Les lobbies industriels et agricoles argumentent que nombre d’organismes sanitaires estiment les preuves insuffisantes pour conclure à son caractère cancérogène, dont en France l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), en Allemagne (BfR), en Autriche, au Japon (FSCJ), aux Etats-Unis (US-EPA), au Canada (Health Canada), européenne (ECHA et EFSA) et internationales (FAO). Ces lobbies rappellent que l’EFSA a réévalué le glyphosate et a conclu par l’absence d’effets perturbateur endocrinien. Même si l’existence de relations entre les industries et les institutions de santé ne prouve en aucun cas que leurs argumentaires soient nécessairement faux, les partisans de la suppression du glyphosate stigmatisent leurs conflits et liens d’intérêt. Ils apportent des preuves sur les « informations biaisées, incorrectes ou incomplètes » dans des rapports d’expertises. Ils révèlent le lobbying malhonnête de Monsanto afin de circonvenir des décideurs et experts naïfs ou peu scrupuleux. La EFSA réfute en bloc ces accusations.
Grâce aux médias acquis à la cause des militants anti-glyphosate, une grande partie de l’opinion publique rejette les produits de Mansanto et remet en cause les méthodes de l’agriculture conventionnelle…
La désunion européenne
L’autorisation de mise sur le marché (AMM) allouée au glyphosate expirait le 30 juin 2016. Les euro-députés tergiversent. Certains veulent une sortie définitive avant 5 ans (la France, l’Autriche, la Belgique et l’Italie), d’autres un renouvellement sans restriction. Le 24/10/2017 le représentant allemand, qui s’abstenait jusqu’alors (dans le système de vote européen, l’abstention compte pour un vote négatif), fait basculer la décision vers la réautorisation de cet herbicide pour cinq ans supplémentaires.
Non au glyphosate, mais en même temps…
Sous la pression de son Ministre d’État, Nicolas Hulot, le Président Macron déclare imprudemment le 27 novembre 2017 dans un tweet : « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans ». Afin de se préparer à cette échéance, l’Institut national de recherche agronomique (INRA) est saisi pour mener une étude d’un possible plan de sortie du glyphosate. Le rapport de l’INRA, publié fin 2017, annonce que les alternatives au glyphosate sont compliquées et couteuses pour qu’une mise en oeuvre soit rapide et efficace. Nicolas Hulot ayant annoncé sa démission, le Président fait marche arrière. Le 24 janvier 2019, à Bourg-de-Péage (Drôme), il déclare : « Je sais qu’il y en a qui voudraient qu’on interdise tout du jour au lendemain. Je vous dis : pas faisable et ça tuerait notre agriculture. Et même en trois ans on ne fera pas 100 %, on n’y arrivera, je pense pas »…
Les parlementaires veulent être de la partie
Plusieurs propositions de loi et rapports pour interdire le glyphosate sont rejetés par la majorité parlementaire en mai 2018, puis en octobre 2018 et enfin en février 2019. Les parlementaires veulent être de la partie et en mai 2019, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) sort son « étude sur l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux ». Rien de nouveau dans ce rapport. Après 15 mois d’auditions, il révèle pauvrement (page 80) que « L’existence d’une différence d’appréciation sur la cancérogénicité du glyphosate par le CIRC et les agences d’évaluation des risques laisse tout de même perplexe le grand public comme les décideurs politiques »…
La justice s’en mêle
Après les controverses scientifiques, les tergiversations politiques, la justice s’en mêle. D’abord aux Etat Unis, où un tribunal californien condamne en 2018, la société Monsanto à verser 289 millions de dollars à un jardinier frappé par un cancer du système lymphatique qu’il attribue à son exposition à des herbicides à base de glyphosate. Un jury d’Oakland, près de San Francisco accorde, deux milliards de dollars aux époux Pilliod, tous deux atteints d’un lymphome non-hodgkinien, au titre de dommages « punitifs » destinés à sanctionner Monsanto. Ce n’est pas fini, puisque plus de 13.000 procédures contre Monsanto sont en cours aux États- Unis…
La France n’est pas en reste mais moins agressive. Le tribunal administratif de Lyon, en application du principe de précaution, annule, le 15 janvier 2019, la décision du 6 mars 2017 autorisant la mise sur le marché du Roundup Pro 360. Ce n’est que le début, d’autres procès sont à venir…
Un obscurantisme agressif et sectaire
Mansanto doit être condamné pour ses procédés malhonnêtes de promotion d’un produit potentiellement néfaste pour la santé. Les comportements abusifs, voire crapuleux, de Mansanto, qui a cherché, depuis des décennies, à minimiser les risques liés au glyphosate, favorisent l’émergence d’une crise de confiance vis-à-vis de l’expertise scientifique. Les complexes travaux d‘évaluation des risques sanitaires et environnementaux sont réalisés, dans leur très grande majorité, d’une façon honnête, professionnelle et sur des bases rationnelles et transparentes. Affirmer que scientifiques et politiques sont sous influence, voire corrompus, est malhonnête et outrancier. Susciter dans l’opinion des émotions permettant de faire gagner des causes aussi nobles soient-elles, telles que la protection de la santé et de la nature, ne peut justifier de telles accusations. La corruption, la duplicité, l’incompétence existent. Ceci nous permet-il d’émettre systématiquement de dégradantes attaques sur l’intégrité, l’impartialité et la pertinence de travaux scientifiques, si leurs conclusions sont en contradiction avec nos opinions ou croyances? La science ne peut pas être militante. Rejeter la raison, la connaissance et l’esprit critique participe à cet obscurantisme agressif et sectaire qui envahit et détruit sournoisement notre démocratie.
Toute opinion doit être éclairée mais « lorsqu’une question soulève des opinions violemment contradictoires, on peut assurer qu’elle appartient au domaine de la croyance et non à celui de la connaissance » : Voltaire.