Henriette Reggui entourée de ses amis de l’APAC
Ce 30 décembre 1915, naissait celle qui deviendra Henriette Reggui, épouse du militant politique et culturel Marcel Reggui, disparu en 1996, dont le souvenir se perpétue aujourd’hui par le nom de l’auditorium de la médiathèque d’Orléans.
De Sfax à Orléans
Ils se rencontrèrent à Sfax en Tunisie dans les années trente, Henriette y enseignait l’anglais et Marcel était déjà un “phénomène”, puisque jeune arabe issu de l’École Normale de Tunis, il était lui aussi enseignant, fait peu commun pour un “français d’origine musulmane” comme l’on disait à l’époque. Car Marcel croit alors à “l’assimilation”, il voue une passion sans borne pour la culture française et se convertit au catholicisme à 22 ans, avant de découvrir la revue Esprit, fondée en 1931 par Emmanuel Mounier, le père du Personnalisme, philosophie chrétienne qui renvoie alors dos à dos fascisme et communisme avant de dénoncer l’existentialisme de Sartre. Mais les événements de mai 1945 en Algérie, massacres* où vont périr deux de ses frères et sa sœur, brisent définitivement l’illusion de l’assimilation, et le couple prendra le chemin de la métropole en 1947 pour arriver à Orléans quelques années plus tard.
La revue Esprit, l’APAC…
La revue Esprit, dont Henriette pense qu’elle en possède encore tous les numéros depuis sa création, reste la référence pour ce couple militant, mais c’est aussi un formidable réseau de relations intellectuelles que Marcel entretient par une correspondance très active, qui permettra d’inviter pour des conférences orléanaises des personnalités marquantes de la pensée ou de l’art.
L’APAC (Association Populaire d’ Art et de Culture) voit ainsi le jour en 1958 et invite René Dumont, Hubert Beuve-Méry, Jean Marie Domenach et bien d’autres, pour des conférences qui marquèrent pendant plusieurs décennies la vie intellectuelle orléanaise, avec par la suite un ciné-club, des expositions ou des concerts. Et ce n’est pas lui faire affront que de souligner le rôle d’Henriette dans l’hospitalité légendaire de ce couple qui recevait abondamment.
… et les voyages
Mais Henriette a aussi été une passionnée de voyages, d’abord en 2cv jusqu’au Liban ou au Cap Nord, avec Marcel qui ne conduisait pas, et lorsque après une double crevaison dans le sud saharien, Henriette commençait à s’inquiéter sur leur sort, Marcel, insatiable lecteur, était plongé dans “La Théologie de l’Espérance”… Henriette a ainsi visité un nombre incalculable de pays après deux tours du monde, jusqu’à un aventureux voyage en Libye avec une amie au début des années 2000.
Et si Henriette Reggui, après avoir milité des années pour la Cimade (aide aux migrants) et l’Association Espoir (aide aux familles des détenus), ralentit un peu ses activités (elle est toujours présidente d’honneur de l’APAC au coté de Bernard Perrault, son président), elle continue à fréquenter l’Opéra, la Cité de la Musique ou les théâtres parisiens, et reste une fidèle festivalière du Festival de Cinéma de la Rochelle.
Alors si la culture n’est pas, bien sûr, un élixir de longue vie, cette vie de partage militant confère à Henriette une richesse peu commune, qui lui fait dire “Malgré tout, la vie est belle !”
Gérard Poitou
*Marcel Reggui a écrit deux cahiers d’une enquête qu’il effectua aussitôt après les émeutes du Constantinois, cahiers qui sont un témoignage direct sur “la furie des milices coloniales”. Ces cahiers, confiés à un ami, furent longtemps “oubliés” avant d’être retrouvés dans les années 2000 et d’être édités sous le titre “Les Massacres de Guelma, Algérie 1945” éditions la Découverte Paris 190 pages.