Par Pierre Allorant
À l’heure où le Tour de France 2019, le meilleur cru depuis l’exaltant suspens final de 1989 et les huit secondes d’éternité entre Greg Lemond et Laurent Fignon, va enfin livrer son verdict, après l’étape dantesque de vendredi, les derniers jours de juillet s’étirent dans une atmosphère caniculaire lourde de menaces. Bien loin de l’été meurtrier torride incarné par Isabelle Adjani au début des années Mitterrand, la Canicule, comme dans l’éponyme western beauceron, nous écrase et embrase bien au-delà de l’Orléanais et du Gâtinais, loin du paisible océan de blé célébré par Péguy, Secrétain et les gravures de Soulas.
Canicule
Comme dans un séminaire de rattrapage pour les climatosceptiques, un bréviaire du réchauffement planétaire pour les nuls, voir la Bretagne étouffer sous les 42 degrés amène d’abord à réfléchir d’urgence à la ville de demain, plus arborée et aérée, irriguée de « coulées douces » et approvisionnée par des circuits courts. Sur fonds de divisions quant à la ratification du CETA, voir dans le protectionnisme cocardier de Trump et dans le « Brexit à tout prix » de Boris Johnson un hommage involontaire à ce nécessaire recentrage sur l’autosuffisance locale relèverait davantage de l’ironie du désespoir que de l’analyse politique.
Bojo, le clown malveillant du 10, Downing Street
En effet, les premières déclarations de « Bojo » ont dû autant réjouir le noyau dur de ses partisans – la base majoritaire radicalisée des « Tories », âgée, rurale, germanophobe et francophobe – que confirmer les craintes des Européens. Là où la fade et laborieuse Theresa May a échoué, le flamboyant ancien maire de Londres prétend réussir en 99 jours, comme Beigbeder vendait pour 99 francs. Bateleur de foire électorale, Boris Johnson manie aussi bien le mensonge que l’ancien président américain Lyndon sur l’engagement au Vietnam : le nouveau locataire du 10, Downing Street, enfin parvenu à bon port, prétend imposer une renégociation du divorce à des Européens qui ont su jusqu’à présent rester solidaires dans leur fermeté. À la tête d’un cabinet de Brexiteurs convaincus, le nouveau Premier ministre risque bien de braquer à l’extérieur et d’aggraver à l’intérieur les failles qui font renaître le mur d’Hadrien avec l’Ecosse et pire, les tensions en Ulster. La promesse d’une entrée dans le nouveau marché commun, celui du Canada, du Mexique et de l’Amérique de Trump, ne suffira sans doute pas à rassurer les acteurs économiques britanniques.
Trump l’incorrect, le pari de l’indécence
Précisément, à quinze mois des présidentielles de novembre 2020, les premiers signaux de la campagne américaine sont inquiétants et semblent rejouer en pire le scénario de 2016. Les attaques grossières contre les élues démocrates sommées de « retourner dans leur pays » ne sont pas seulement absurdes, toutes, sauf une, étant nées sur le sol étatsunien. Elles sont ignobles, car elles n’ont qu’un but : mobiliser l’électorat « petit blanc » qui a fait le succès de Trump face à Hilary Clinton en 2016. Plus que jamais, machisme et racisme sont les deux mamelles du poison populiste distillé par le héraut implicite de la cause suprémaciste. À l’opposé de Pierre Mendès France qui faisait le pari de l’intelligence rationnelle des citoyens pour promouvoir la République moderne sur la base d’un contrat de législature, Trump sort la grosse caisse et mise sans vergogne sur les peurs ataviques, les ressorts les plus laids de la nature humaine, mais parfois les plus efficaces. Face à lui, les dinosaures – le centriste populaire chez les ouvriers blancs, Joe Biden, et Bernie Sanders, le prof socialiste qui fait rêver les jeunes des campus, ne paraissent plus les mieux placés pour combattre leur collègue septuagénaire, à l’instar d’Elisabeth Warren, rejouant le film et le match des dernières primaires. L’éloquente magistrate Kamala Harris, les novices Betto O’Rourke et Pete Buttigieg auront donc la lourde tâche d’apporter un message neuf, rassembleur, d’espoir pour une Amérique solidaire, réconciliée avec les idéaux démocratiques, bref, de mener un combat décisif d’une portée bien plus large que de simplement refermer d’urgence la parenthèse déjantée du docteur Folamour qui menace l’équilibre mondial, des accords de Paris à Téhéran, de Jérusalem à Londres.
Nouvelle société
Et la France dans tout cela ? Si, comme ironise le Canard, Macron espère pour la première fois un homme en jaune aux Champs-Elysées, et peu importe qu’il la joue à la Philippe ou se déguste en Pinot frais, se profilent pour l’exécutif des temps menaçants, d’un tout autre ordre que l’affaire Benalla de l’été dernier ou sa réplique avorté de juillet, le « homardgate » de l’hôtel de Lassay. Si le chômage continue sa très lente descente vers l’horizon rêvé des 7 %, seuil tremplin pour une réélection programmée en 2022, la réforme des retraites et l’élargissement du droit à la PMA s’annoncent comme les deux chantiers capitaux de la seconde moitié du quinquennat. Significativement, la détermination présidentielle à avancer vite apparaît, une fois encore, plus vive dans le domaine économique et social qu’en matière sociétale. Pour le dire autrement, si Emmanuel Macron veut conserver une part de crédibilité en se réclamant du « en même temps » de droite libérale et de gauche progressiste, c’est le moment de ne pas flancher. Alors que le recul de « l’âge-pivot » du versement plein des pensions de retraite à 64 ans va tendre les relations avec les syndicats et satisfaire l’électorat âgé et modéré qu’il a subtilisé à la droite, ouvrir de nouveaux droits aux femmes seules et aux couples de femmes peut lui fournir un bon marqueur progressiste, à l’instar du mariage pour tous instauré par François Hollande. Esquiver ou reculer par crainte de mobilisations des activistes catholiques serait aujourd’hui, par une fausse habileté, désespérer les électeurs de gauche dont le transfert a fait sa victoire en mai 2017, brouiller toute frontière avec la droite Bellamy et, en définitive, faire le cadeau à la gauche d’un nouvel excellent motif d’enfin se reconstruire pour proposer une alternative crédible.
Il y a cinquante ans, un jeune Premier ministre tentait de dépasser les clivages politiques et de débloquer la société française en misant sur la participation, le dialogue social, une démocratie de progrès. Le discours de la « Nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas était salué sur tous les bancs, jusque sur la gauche de l’hémicycle où l’ami aquitain, François Mitterrand, notait avec sa féroce lucidité : « Je ne doute pas de votre sincérité, mais en regardant votre majorité, je doute de votre réussite ».
P.A