Publié le 18 avril 2019
Comment ne pas ressentir l’étonnante coïncidence entre le vernissage de l’exposition de l’artiste Ugo Schiavi ce vendredi au Musée des Beaux Arts d’Orléans et le feu de Notre Dame de Paris ce lundi ? Comment ne pas être saisi par la symbolique de ces fragments de sculptures brisées sortis des réserves du musée et les moulages réalisés par l’artiste sur des monuments illustrant “l’impermanence de l’art dans l’espace public” comme le dit savamment la présentation de l’exposition, ou simplement par le destin éphémère de l’art ?
Et in Arcadia 2 Ugo Schiavi
L’exposition s’ouvre sur un étonnant travail intitulé “Loots” réalisé par l’artiste avec un complice, Thomas Teurlai qui a consisté à soigneusement décoller, à “voler”, des pans entiers de street art pour en faire d’imposants rouleaux stockés comme dans les réserves d’un improbable musée, ironie artistique sur la propriété et la conservation d’une forme d’art urbain conçu comme éphémère.
“Et in Arcadia ego”: « Moi (la Mort), je suis aussi en
Arcadie » Virgile
Car la question du temps est présente partout dans cette exposition, par la confrontation dans les salles suivantes d’œuvres délabrées sorties des réserves du musée et de ces moulages d’Ugo Schiavi, représentant une statuaire du fragment, de la brisure comme signifiant de la temporalité destructrice. L’art contemporain, par le triomphe d’une certaine marchandisation des œuvres a occulté depuis longtemps cette réflexion sur le temps et la mort qui nourrissait si couramment la représentation picturale: des danses macabres du XVe siècle (à voir la très belle et peu connue de Meslay-le-Grenet en Eure-et-Loir), des natures mortes de l’age classique, que nous regardons distraitement ne sachant plus lire leur symbolique, ou de ces vanités double face de la mort et de la beauté.
Et in Arcadia#2 Ugo Schiavi
Cette coïncidence nous invite ainsi, par la visite de cette exposition, à la méditation, pas cette médiation promue comme une forme de notre bien être, mais à cette émotion profonde si bien décrite par les romantiques du XIXe, sur les ruines encore fumantes d’un patrimoine dévasté par la furie révolutionnaire. Comment ne pas penser en voyant le travail d’Ugo Schiavi à cette tête brisée en décembre dernier de la Marseillaise de l’Arc de Triomphe , mais aussi au destin de Notre Dame que notre insolent orgueil prétend reconstruire en cinq ans une œuvre de plusieurs siècles ? Ainsi le temps inexorable choisit-il dans son arbitraire ce qui nous subsistera: sauf la pyramide de Kéops, les sept merveilles du monde antique ont toutes disparues, il ne reste plus trace des jardins de Babylone, mais les peintures rupestres de quelques chasseurs-cueilleurs vivant dans le noir d’un grotte de Lascaux sont toujours là pour nous émerveiller…
Alors prenez le temps de visiter cette exposition et d’y méditer une heure ou deux, loin du bruit médiatique, sur le destin de notre humanité et de sa vanité patrimoniale avant de sortir de la pénombre de cette annexe du dieu Hades, et de retrouver la beauté d’une lumière printanière: l’art sert aussi à ça !
GP
Et in Arcadia Ugo Schiavi