« Chaque mois de juillet, surgit magiquement un Etat dans l’Etat : le Tour de France. Et cet Etat confine à l’état de grâce ». Constat de François Mitterrand que Béatrice Houchard a placé avec juste raison en exergue du livre qu’elle vient de consacrer à ce grand événement annuel qui s’élance à l’assaut de nos routes et de nos cols ce samedi 6 juillet. Pendant trois semaines le peuple de France va camper au bord des routes où passent le peloton et sa caravane et, à défaut, car tout le monde n’est pas en vacances devant sa télévision ou à l’écoute de son poste de radio guettant l’arrivée quotidienne et l’enfilage du maillot jaune.
Le maillot jaune
Ce maillot jaune un centenaire qui se porte bien. C’est un « maillot très spécial » écrit Béatrice Houchard qui a commencé sa carrière journalistique à La Nouvelle République du Centre-Ouest à Blois, première femme journaliste dans le département du Loir-et-Cher. Un maillot né le 19 juillet 1919 dans l’arrière salle du café l’Ascenseur tenu à Grenoble par M. Faisan. Le directeur du Tour Henri Desgrange qui a créé l’épreuve en 1903 remet un maillot jaune au coureur qui occupe la première place au classement général. Une idée à lui qui passe inaperçue.
Le premier porteur est le Français Eugène Christophe qui, lorsqu’il mourra en 1970 demandera à être enterré avec. Pourquoi jaune ? Parce le jaune est la couleur du papier sur lequel est imprimé « L’Auto » le quotidien organisateur de l’épreuve. Avec le temps ce vénérable maillot est devenu un objet sacré : « J’y tiens comme à des reliques » reconnaît Eddy Merckx qui en a collectionné quelques-uns. Hélas pour lui, Raymond Poulidor dit « Poupou », le plus populaire de tous les coureurs ne peut parler de l’effet euphorisant de cet emblème, il n’est jamais parvenu à l’endosser même s’il a beaucoup couru après.
Son histoire dans notre histoire
La Grande Boucle s’inscrit dans notre histoire et met en scène notre géographie. Le grand mérite du « Tour de France et la France du Tour » est de montrer ces aspects avec rigueur et élégance. Qui se souvient de ce que furent les débuts, de l’état des routes d’alors, de l’effort incroyable qu’elles demandaient aux coureurs et que leur matériel exigeait ? Pas de mécanicien, pas de vélo de rechange ni de réparateur de crevaison.
Maurice Garin vainqueur du Tour 1903 (source Wikipedia)
Par exemple, Lucien Petit-Bon vainqueur en 1907 et 1908 « montait chaque soir son Peugeot dans sa chambre, disposait sur son lit divers journaux et papiers, couchait sur eux sa machine, la démontait pièce à pièce, nettoyant chacune d’elle avec du pétrole. Son vélo remonté, vérifié, briqué il pouvait enfin se foutre au pieu ». Comme ce sera le cas lors de la seconde guerre mondiale, le Tour s’interrompt de 1914 à 1918. Le 29 juin 1919 alors qu’est signé le traité de Versailles il repart. 67 coureurs s’élancent de Paris à 3 heures du matin pour un mois de pédalage et 5560 kilomètres autour de l’hexagone. Direction Le Havre atteinte en 15h et 56 minutes à 24km/h de moyenne. Chaque décennie apporte ses améliorations, transforme la physionomie de l’épreuve, l’améliore mais n’en enlève ni la difficulté, ni l’attrait, ni l’enthousiasme qu’elle suscite. La grande boucle s’inscrit dans notre histoire, ; elle y a sa place.
Les Forçats de la Route
Arrivant de Cayenne où il s’est intéressé au bagne, le grand reporter Albert Londres tombe sous le charme de la grande boucle et contribue à la populariser. « Il suffit de suivre le Tour de France pour que la folie vous semble un état de nature, écrit-il le 8 juillet 1924 à Nice. Le 19 juin dernier, si quelqu’un m’avait dit : vous allez voir sept à huit millions de Français danser la gigue sur les toits, sur les terrasses, sur les balcons, sur les chemins, sur les places et au sommet des arbres, j’aurais dirigé aussitôt mon informateur vers une maison d’aliénés. C’eût été une erreur. Mon homme ne se serait trompé que sur le chiffre. C’est dix millions de Français qui glapissent de contentement » au passage des coureurs dont il salue les efforts gigantesques en les désignant comme « les forçats de la route ».
Quelques chiffres
Depuis 1919 plus de 4000 coureurs ont pris le départ.
61 l’ont gagné.
269 ont porté le maillot jaune au moins une journée.
96 jours pour Eddy Merckx .
Tout a changé bien sûr, la caravane, les équipes, les suiveurs, les soigneurs et hélas le dopage mais l’effort des coureurs demeure et l’enthousiasme du public est plus que jamais au rendez-vous. Il sait où se trouve les cols des Pyrénées, Tourmalet, Peyresourde, Aspin…. Il attend avec impatience la « grimpette ! » de l’Alpe d’Huez. En suivant les coureurs, il découvre ou redécouvre la géographie que popularise la télévision. C’est aussi cela l’apport du Tour de France qui chaque année en faisant le Tour de notre pays nous rappelle à quoi il ressemble.
Le 19 juillet le Tour de France célèbrera les 100 ans du maillot jaune. Les plus grands champions, Bartali, Coppi, Robic, Gaul, Bobet, Anquetil, Merckx, Hinault, Lemond, Indurain, Fignon l’ont porté. Mais pendant la course, la vie continue et de nombreux événements marquent nos mois de juillet Béatrice Houchart n’oublie pas de mettre tout cela en parallèle ce qui donne un relief unique à son travail.
Aucun Français n’a gagné le Tour depuis la victoire de Bernard Hinault en 1985 . Cette année peut-être ?
Françoise Cariès
« Le Tour de France et la France du Tour »
Béatrice Houchard
Calmann- Lévy 220 pages 17 euros
Devenue journaliste pour pouvoir suivre le Tour de France, Béatrice Houchard a couvert six campagnes présidentielles pour La Nouvelle République du Centre-Ouest, La Vie, Le Parisien, Le Figaro et L’Opinion. Elle est notamment l’auteure de Faut-il arrêter le Tour de France ? (Larousse, 2009) et Le Fait du Prince (Calmann-Lévy, 2017).