La petite chienne n’a pas fait trop de dégâts…

La « petite chienne » (le mot canicule est emprunté au latin canicula, qui signifie petite chienne) de ce début d’été 2019 est passée. L’hécatombe de 2003, avec ses 19 000 décès, n’aura pas eu lieu. La canicule a ceci de remarquable d’être à la fois un problème climatique et sanitaire mais aussi un sujet politique et social.

Par Jean-Paul Briand

Les régions de France sont plus ou moins habituées
et adaptées à la chaleur

D’un point de vue climatique, une canicule, est un épisode de températures élevées, de jour comme de nuit, sur une période prolongée d’au moins 3 jours. Dans le cadre de la vigilance météorologique, on tient compte d’une part du caractère exceptionnel des températures diurnes et nocturnes et d’autre part du territoire où cette vague de chaleur sévit. Les régions de France étant plus ou moins habituées et adaptées à la chaleur, les seuils d’alerte ne sont pas les mêmes partout. Par exemple, Météo France estime des seuils pour Paris à 31 ºC le jour et à 21 ºC la nuit, pour Marseille 35 ºC le jour et 24 ºC la nuit et à Orleans 34°C le jour et 19°C la nuit. Il existe des précédents caniculaires en France :

En juin-juillet 1976, une vingtaine de départements voient leurs taux de mortalité s’élever de plus de 10 % au-dessus des normes saisonnières, soit 6 000 décès supplémentaires.

La canicule de juillet 1983 dans le sud-est de la France a été à l’origine d’une surmortalité de 300 décès dans la seule région de Marseille et de 4700 sur l’ensemble de la France.

Une carence délétère et chronique
en épidémiologie et en santé publique

Au niveau sanitaire, il faut savoir que des températures élevées pendant plusieurs jours consécutifs, surtout de nuit, entraînent un risque de surmortalité chez les personnes fragiles. Les vagues de chaleur intense aggravent et accélèrent les processus morbides en cours ou exposent à des décompensations d’une santé particulièrement vulnérable, essentiellement en milieu urbain, qui associe îlots de chaleur et pollution atmosphérique. Certains médicaments empirent la déshydratation ou limitent les capacités d’adaptation à la chaleur. Exception faite pour les maladies infectieuses, dans notre système de santé, pourtant reconnu comme particulièrement performant, il existe une carence délétère et chronique en épidémiologie, en santé publique et en prévention des risques sanitaires occasionnels. La surmortalité, en rapport avec la canicule, s’accroît avec l’âge, chez les femmes et pour les malades atteints de troubles cardiovasculaires, mais aussi selon les lieux. Il existe une augmentation de décès moins importante dans les hôpitaux et plus importante à domicile, en milieu urbain, dans les hospices et les maisons de retraite.

Une gestion controversée de la période caniculaire de 2003

La dimension politique de la canicule est récente. Durant la vague de chaleur intense de l’été 2003, surgissent des hospitalisations massives et un nombre anormal de décès. Du 1 au 20 août 2003, 41 458 décès sont observés en France métropolitaine soit 14 802 décès surnuméraires. Le ministre de la santé d’alors, professeur de médecine, Jean-François Mattei, reste néanmoins tranquillement en vacances dans sa maison du sud de la France. Fin août 2003, lors de son audition par la Commission d’information parlementaire, le ministre de la santé ne reconnait aucune responsabilité, accusant pêlemêle la nature, le manque de remontées d’informations de la part du terrain, les médias n’ayant pas adressé de conseils de protection contre la chaleur, la Direction générale de la santé (DGS) n’ayant pas alerté les médecins, le ministère de l’intérieur n’ayant pas signalé le nombre anormal de morts alors qu’il est destinataire des certificats de décès…Cette gestion controversée de la période caniculaire de 2003 eût pour conséquence « une rupture dans l’histoire du climat en France » et la mise en place d’un Plan National Canicule, décliné au sein de chaque préfecture. De manière paradoxale, on accuse aujourd’hui notre ministre de la santé d’en faire trop sur la canicule !

Des marqueurs révélateurs des inégalités sociales de santé

Même si la règle est de faire des analyses principalement de nature médicale sur les conséquences d’une canicule, ces dernières sont des marqueurs précieux permettant de documenter des facteurs de risque socio-économiques. Abstraction faite de « l’effet moisson » (décès avancé d’une personne dont on sait que son état de santé va entraîner sa mort prochaine), les enquêtes post canicules mettent en évidence des conditions de vie responsables d’une plus grande vulnérabilité. En dépit de l’anathème récurrent, le délaissement des personnes âgées par leurs familles durant les vacances n’est pas une réalité. Les études n’ont pas démontré une plus grande mortalité de personnes âgées isolées à domicile. C’est l’isolement relatif qui est en cause, c’est à dire un encadrement de vie insuffisant. La fréquence des visites, qu’elles soient en établissement, à domicile par des travailleurs sociaux, par de la famille ou du voisinage, est apparue trop faible, espacée et irrégulière. Les mauvaises conditions d’habitat sont également en cause : logement sous les toits dans les centres-villes urbains, sans isolation, ni appareil de climatisation. L’« Étude des facteurs de risque de décès des personnes âgées résidant à domicile durant la vague de chaleur d’août 2003 » interessant Orléans et Tours a permis d’identifier ces marqueurs non médicaux et révélateurs des inégalités sociales de santé.

Le réchauffement climatique ne doit pas accroitre les inégalités sociales

Le changement climatique entre dans notre quotidien. Un groupe d’experts signalent « la plus grande menace sanitaire mondiale du 21e siècle ». Des vagues de chaleur seront de plus en plus fréquentes et intenses. Dans les prochaines années, avec les critères actuels d’alerte canicule, leur nombre devrait décupler. Les populations vulnérables payeront un lourd tribu si des actions de prévention ciblées ne sont pas entreprises. Le réchauffement climatique ne doit pas accroitre les inégalités sociales et économiques. Les stratégies de résistance au dérèglement du climat doivent donc intégrer  l’amélioration de l’habitat et les politiques de lutte contre la pauvreté…

En période de grosses chaleurs, après repérage par les services sociaux, les personnes à grande vulnérabilité socio-sanitaire, en habitat urbain vétuste, ne pourraient-elles pas bénéficier d’un parc municipal de climatiseurs ?

Commentaires

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  1. “La petite chienne n’a pas fait trop de dégâts”… visibles pour l’instant car ce coup de chaud va avoir des conséquences nombreuses:
    – sur la santé physique de toutes et tous de tous les âges avec de possibles réactions dans les semaines à venir;
    -sur les cultures qui ont très mal supporté ce coup de chaleur, en particulier les graminées dont la croissance a été freinée voir stoppée d’où à prévoir des récoltes diminuées;
    -sur la pollution atmosphérique accentuée par l’usage des climatisations et la difficulté pour l’atmosphère surchauffée d’absorber le gaz carbonique;
    Pas trop de dégâts ? apparemment mais ne nous cachons pas la triste réalité, l’état d’urgence rouge en permanence est dorénavant notre quotidien.

  2. Puisque le Docteur Briand l’évoque, allons un peu plus loin sur l’étymologie du mot “canicule”. En astrologie, “canicula” désigne l’étoile principale de la constellation du grand Chien, Sirius. Le terme est passé en astronomie. L’été, donc quand il fait chaud, Sirius (Canicula) est très visible. Elle se lève et se couche en même temps que le soleil. Voilà donc pourquoi on a associé cette étoile aux fortes chaleurs. Et pourquoi il subsiste un rapport (dans les mots) entre chien et chaleur.

    • Cher Claude, ce rapport, dans les mots, entre chien et chaleur ne serait-il pas une métonymie ?

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