Depuis près d’un an, le parcours d’Alexandre Benalla fascine autant qu’il interroge. Parti de nulle part, sans réseaux, cet homme jeune, 27 ans à peine, s’est introduit au cœur du pouvoir et y a un temps prospéré. Parti d’Evreux il a fait ses premières armes au Parti socialiste avant de devenir l’homme de l’ombre du candidat à la présidentielle Emmanuel Macron puis de rester dans son sillage à l’Elysée. Ce parcours fugace et par bien des aspects hors des clous méritait-il qu’on y prête encore attention. Sand doute.
Jeudi soir invitée sur RTL, Brigitte Macron interrogée par Marc-Olivier Fogiel est revenue sur cette affaire qui a occupé l’été et l’automne 2018 et conduit le président à repousser la réforme constitutionnelle qu’il avait en vue. « Personnellement j’ai été étonnée de l’ampleur que cette affaire a prise. Moi j’avais très peu affaire à lui donc j’ai été un peu surprise. On a certainement minimisé. Peut-être aurait-il fallu dire tout de suite « Il y a un problème ». Mais ce n’était pas si facile parce que c’est l’humain. Les gens qui travaillent avec nous, du jour au lendemain vous ne pouvez pas leur dire « bah non vous ne travaillerez plus avec nous », a reconnu l’épouse du président de la République.
Alors pourquoi ne pas consacrer un moment à un livre « Benalla, la vraie histoire », dans lequel la journaliste Sophie Coignard dresse un portrait de ce personnage, « entêté et super sûr de lui », un météore qui a secoué le sommet de l’Etat ?
Cet ouvrage a le mérite de rester près des faits, de ne pas s’envoler dans d’effarantes suppositions et, ce qui ne gâte rien, d’être écrit de façon plaisante.
Le feuilleton Benalla
.L’affaire qui n’en est pas encore une entre dans l’actualité, le 1er Mai avec une arrestation musclée, place de la Contrescarpe à Paris de manifestants par un Alexandre Bénalla et son ami Vincent Crase qui n’avaient aucune autorité pour agir. Une bavure qui ne semblait pas difficile à déminer même si une vidéo explicite circulait sur les réseaux sociaux. Mais voilà qu’on apprend que le cogneur protégé par un casque et un brassard de policier n’est autre que le garde du corps personnel du président de la République. Pour « enterrer l’affaire » il aurait suffi d’un communiqué élyséen annonçant « la fin des fonctions du chargé de mission auprès du chef de cabinet » et quelques regrets du président de la République au détour d’une phrase.
Au lieu de quoi, devant les caméras, le porte-parole de l’Elysée, l’ancien journaliste Bruno Roger-Petit révèle qu’il a simplement été notifié au fautif Alexandre Benalla une « mise à pied pour quinze jours assortie d’une rétrogradation», certifiant par ailleurs qu’il s’agit de « la sanction la plus grave jamais prononcée contre un chargé de mission». Quinze jours de suspension vraiment ? Dans la foulée on apprend que le garde du corps Alexandre Benalla accompagne le couple Macron dans une visite privée à Giverny. Rien n’a changé. Premier désordre sinon entorse.
Aussitôt,commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale qui se saborde après le départ du co-rapporteur LR, dénonçant le refus par la majorité LREM d’auditionner les personnages-clés de l’affaire. Quant à Alexandre Benalla, il apparaît dans plusieurs médias tellement apprêté dans son apparence et dans son langage, que l’on devine l’intervention de metteurs en scène professionnels.
L’Élysée veut croire à la fin de cette détestable histoire. Les médias sont accusés d’« en faire trop ». Les parlementaires, les ministres, le président, les journalistes et les Français partent en vacances. Tout cela va se dissoudre dans le soleil de l’été. La pièce n’aura eu qu’un acte.
Acte II : la commission sénatoriale
C’est compter sans une institution souvent à tort mal considérée, qu’Emmanuel Macron lui-même a traitée avec une certaine condescendance : le Sénat. Il va faire respecter et triompher la démocratie. Il a constitué pour six mois, jusqu’en janvier 2019 une commission d’enquête qui a commencé ses auditions, sous la houlette du président de la commission des lois, de Philippe Bas, sénateur LR de la Manche, et avec deux co-rapporteurs dont Jean-Pierre Sueur, sénateur PS du Loiret. Tranquillement, à la rentrée 2018, elle reprend son travail et veut entendre Alexandre Benalla le 19 septembre. C’est le début de l’acte II. Le convoqué refuse publiquement, au nom de sa mise en examen et d’un raisonnement alambiqué sur la séparation des pouvoirs. Sa position est soutenue publiquement par la garde des Sceaux. Mais tous deux doivent faire marche arrière : nul ne peut se soustraire à une telle convocation. Et voilà face à face les Palais du Luxembourg et de l’Elysée
Dès le lendemain de cette tragi-comédie, les auditions mettent en lumière la toute-puissance que tirait Alexandre Benalla de sa seule proximité avec le couple Macron et dont découlaient des passe-droits et des amitiés pas toujours de bon aloi. Qui a parlé de nouveau monde ? En quelques heures, le nom de Benalla est devenu celui d’une affaire d’État. Parti de nulle part ou presque , sans réseaux, Alexandre Benalla, l’ambitieux sans limites s’est introduit au cœur du pouvoir. Telle une étoile filante il a percuté Jupiter et provoqué un cataclysme en Macronie.
« Est-ce que je regrette de l’avoir embauché ? Non », répond Emmanuel Macron dans une conférence de presse à une question sur l’embarrassant Alexandre, longtemps indispensable, mais qui lui a coûté si cher. Autant que les mésaventures de cet antihéros politique, le livre de Sophie Coignard met au jour sans fioritures les abus de pouvoir, les faux-semblants, l’esprit courtisan et les hiérarchies parallèles qui règnent toujours au sommet de l’État.
Françoise Cariès
.Alexandre Benalla : Un intrus au cœur du pouvoir
Sophie Coignard
Editions de l’Observatoire
226 pages 20,80 euros