La perte de souveraineté des États dans l’UE : un mythe bien utile

Dès sa création, les Communautés européennes ont été accusées de battre en brèche, de manière plus ou moins masquée, les souverainetés nationales, étant considérées comme un faux nez des Etats-Unis tant par les Communistes que par les Gaullistes. Cette défiance n’a jamais cessé, d’autant plus que l’Union européenne gagnait en compétences avec l’accroissement progressif de l’intégration et des politiques communes.

 Par Félix Henou*

La pertinence d’un Frexit étant assez peu évidente et largement rejetée par les Français, il n’en demeure pas moins que les différents candidats plus ou moins eurosceptiques, à droite comme à gauche du spectre politique, hurlent régulièrement au diktat bruxellois (ou germano-bruxellois) et à la mise sous tutelle des politiques nationales.

Naturellement, le fait d’appartenir à une Union douanière, économique, monétaire implique de se conformer à un certain nombre de règles communes. La question de la surrèglementation peut se discuter, mais elle est souvent nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, et elle découle aussi souvent d’ajouts faits par les États au moment de la transposition des directives. Il faut aussi reconnaître que la Commission sortante a fait un gros effort de réduction de l’activité législative – ce qui a pu parfois poser problème.

Mais cette législation, elle n’est pas imposée sans raison, de la part d’une sorte de Léviathan technocratique incontrôlable, qui échapperait au contrôle des gouvernements nationaux. Il est certes très facile de se défausser de ses responsabilités en accusant « Bruxelles », en profitant du manque de connaissance et d’intérêt de la part des commentateurs et des électeurs, mais les gouvernements nationaux ont leur pleine et entière responsabilité dans les décisions prises à Bruxelles.

Une influence collective

Tout d’abord, les grandes lignes de la politique européenne, les orientations stratégiques, sont définies par les Chefs d’Etats et de gouvernements au sein du Conseil européen qui se réunit plusieurs fois par an. Si elle a officiellement le monopole de l’initiative législative, il n’est pas question pour la Commission européenne de se démarquer de ces orientations.

La Commission en a d’autant moins l’intérêt que ses membres sont tous désignés par leur gouvernement respectif. Si une fois en place ils sont sensés représenter l’intérêt général européen, les Etats jouent des coudes pour placer leurs représentants aux postes qu’ils estiment stratégiques ou à limiter le champ de compétences d’un commissaire venu d’un pays jugé « non fiable ». Il est à noter aussi que la Commission Juncker comporte dans ses rangs 6 anciens Premiers Ministres ou Vice-premiers Ministres (à commencer par Jean-Claude Juncker lui-même) et 11 anciens Ministres. Une telle Commission n’est certainement pas formée pour monter au créneau contre la volonté des Etats.

De même, si le Parlement a de plus en plus la possibilité de faire valoir ses positions et de faire échec à l’inertie voire à l’immobilisme des Etats membres, ceux-ci disposent d’un atout majeur. En effet, si une législation doit être adoptée dans les mêmes termes par le Parlement et le Conseil de l’UE où siègent les Ministres des 28 (comme pour l’Assemblée et le Sénat), il n’y a aucun délai contraignant de prévu. Le Conseil peut ainsi tout simplement refuser de prendre position sur un texte, et ainsi l’expédier aux oubliettes, sauf pression politique forte.

Des stratégies d’influence individuelles

Les Etats membres bénéficient aussi de relais au sein du Parlement européen, par le biais des députés appartenant à leur majorité, mais pas seulement. Les conseillers diplomatiques des différents pays vont solliciter leurs parlementaires sur tous les sujets d’importance afin qu’ils suivent la ligne gouvernementale, au nom de l’intérêt du pays. Ils ne font ni plus ni moins que du lobbying. L’efficacité en est démultipliée dans le cas de pays avec des gouvernements de coalition, comme l’Allemagne, qui peut compter sur l’appui de ses nombreux élus chrétiens-démocrates et socio-démocrates et sur l’intérêt bien compris des autres pour faire front quand il s’agit de défendre les positions allemandes.

C’est la conséquence d’une stratégie assumée sinon planifiée d’investissement des grands partis au sein du Parlement européen, avec la désignation de candidats appelés à rester plusieurs mandats et à tisser leur toile au sein du Parlement. En France, on a plutôt l’habitude de faire du recasage ou de n’y voir qu’un strapontin provisoire, le gouvernement et la diplomatie affichant un mépris courtois pour l’utilité et les compétences du Parlement.

La France reste adepte d’une stratégie de négociations intergouvernementale, qui s’appuie sur des échanges de bons procédés sur des votes stratégiques. Ainsi, la France peut par exemple choisir de ne plus soutenir telle ou telle législation en échange d’un vote favorable d’un autre pays sur le budget de la PAC.

Enfin, il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de domaines jugés sensibles doivent toujours être adoptée par le Conseil des Ministres de l’UE à l’unanimité et non à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population). C’est ainsi que des pays comme l’Irlande, les Pays-Bas, les pays baltes ou le Luxembourg peuvent s’opposer sans difficulté à toute tentative d’harmonisation en matière de fiscalité et ainsi continuer leur dumping fiscal intra-européen. Il en va de même pour les questions liées à l’harmonisation des législations nationales dans le domaine de la sécurité sociale et de la protection sociale, et si cela prémunit d’un nivellement par le bas, évitent aussi toute amélioration générale des acquis sociaux dans les pays les moins bien dotés.

La perte de souveraineté des Etats membres au sein de l’UE est donc très relative, et relève surtout d’une méconnaissance abondamment nourrie par des décennies de paroles politiques rejetant sur Bruxelles les errements ou choix gouvernementaux difficiles à assumer sur la scène nationale. L’UE n’est pas la technostructure toute puissante qu’on nous présente, mais avant tout une construction intergouvernementale, au sein de laquelle les gouvernements ont le sentiment d’impunité de la décision collective et éloignée des projecteurs. Et c’est peut-être son principal problème…

*Titulaire d’un Master Affaires européennes de Sciences-Po Lille, il a d’abord travaillé un an au Service de Presse du Parlement européen, avant d’assister 6 ans durant la députée européenne Bernadette Vergnaud dans ses travaux parlementaires. Suite aux élections de 2014, Félix Henou,  est entré au cabinet d’Affaires publiques Europtimum Conseil. A son retour en France à l’automne 2016, il a eu l’opportunité de rejoindre l’AFCCRE (L’Association Française du Conseil des Communes et Régions d’Europe) dont le siège est à Orléans, ce qui correspondait à son souhait de pouvoir mettre son expérience au service de l’action européenne des collectivités territoriales et de leurs élus.

Chargé de mission auprès du Directeur général Christophe Chaillou, Félix Henou traite notamment les aspects statutaires, le suivi de Platforma, réseau européen des collectivités territoriales actives dans le domaine de la coopération au développement, ainsi que le secrétariat de la délégation française au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.

Commentaires

Toutes les réactions sous forme de commentaires sont soumises à validation de la rédaction de Magcentre avant leur publication sur le site. Conformément à l'article 10 du décret du 29 octobre 2009, les internautes peuvent signaler tout contenu illicite à l'adresse redaction@magcentre.fr qui s'engage à mettre en oeuvre les moyens nécessaires à la suppression des dits contenus.

  1. Cher M. Félix Henou merci pour votre billet. Puisque vous semblez bien connaître les modes de fonctionnements à la fois précis mais parfois opaques de l’Europe, votre expertise serait très utile au décryptage des décisions prises sur le plan européen et du jeu et des comportements des représentants français…

Les commentaires pour cet article sont clos.

Centre-Val de Loire
  • Aujourd'hui
    • matin 8°C
    • après midi 5°C
  • lundi
    • matin 5°C
    • après midi 6°C
Copyright © MagCentre 2012-2024