10 heures. Comme la plupart des matins, je rentre dans ma boulangerie habituelle. Le patron, sa serveuse et deux clients : une jeune femme et un probable retraité, compte tenu de sa rare chevelure blanche, sont en pleine discussion.
par Jean Paul Briand
Médecin retraité à l’Argonne (Orléans)
A mon arrivée, le boulanger, qui m’a reconnu, se tourne vers moi et m’apostrophe.
– Dites Docteur, vous en pensez quoi de l’affaire Lambert ?
Pris au dépourvu, je bégaye :
– une histoire bien triste, complexe, troublante…
– Mais c’est quoi la différence entre une sédation profonde et l’euthanasie, questionna la serveuse ?
– C’est d’abord une intention. La sédation profonde sert à soulager une grande souffrance chez quelqu’un qui va mourir. Elle est autorisée par la loi. L’euthanasie et le suicide assisté, provoquent volontairement la mort à la demande d’un patient. C’est illégal.
– Ça ne change pas grand chose, interpelle la jeune femme.
– Ça change tout, chère Madame. Dans le premier cas, la sédation profonde utilise des médicaments qui soulagent et endorment, jusqu’à la mort naturelle du malade. Son décès se produira selon un délai imprévisible. Dans l’euthanasie, les médicaments sont donnés à des doses entraînant une mort certaine et rapide. La loi considère que c’est un empoisonnement, un homicide. Elle l’interdit.
– Qui est celui qui décide de faire une sédation profonde, reprit la jeune femme ?
– C’est d’abord le malade. Toute personne en fin de vie et qui est capable de s’exprimer peut décider d’arrêter ses traitements en cours. Si cet arrêt risque d’entraîner des souffrances insupportables, alors les médecins sont autorisés par la loi de mettre en place un traitement, appelé sédation profonde, qui a pour objectif d’endormir profondément la personne, jusqu’à son décès qui surviendra naturellement.
– Mais pour les personnes comme Vincent Lambert, qui sont dans le coma, que se passe-t-il ? Interrogea à nouveau le boulanger.
– La loi Claeys-Leonetti de 2016 dit que chez une personne qui ne peut exprimer sa volonté, cette sédation peut être administrée « si à l’issue d’une procédure collégiale, le médecin arrête un traitement de maintien en vie au titre du refus de l’obstination déraisonnable ». Dans ce cas, la Haute autorité de Santé (HAS) recommande que « le médecin en charge du patient prend seul la décision de réaliser ou non la sédation » mais obligatoirement à l’issue d’une « concertation avec tous les professionnels impliqués ». C’est pourquoi les parents de Vincent Lambert veulent faire condamner le médecin qui a signé la demande de fin des traitements et qui a pris la responsabilité de la mise en place d’une sédation profonde.
– Vous conseillez quoi, Docteur ?
– Pour éviter que le drame de Vincent Lambert se reproduise, je vous conseille ce que préconise Jean Leonetti, le député promoteur de la loi sur la fin de vie : « Il nous faut écrire nos directives anticipées et désigner une personne de confiance, afin que nos volontés soient transmises dans l’hypothèse où nous ne pourrions pas les exprimer ».
Le personnage que j’avais initialement identifié comme pouvant être retraité prend enfin la parole. Avec un fort accent mais un vocabulaire choisi, il me dit :
– Je vais risquer une question iconoclaste et subversive que personne n’ose poser, sans doute par dignité, décence et pudeur, à moins que ce soit par lâcheté, inconvenance et hypocrisie : Si la prise en charge financière par votre chère Sécurité Sociale n’existait pas, comme dans mon pays, d’après vous Docteur, quels seraient les décisions, les comportements des professionnels de santé et des familles ?
– Monsieur, je ne sais que vous répondre ?
Je pris rapidement mon pain, déposai tout aussi rapidement ma monnaie sur le comptoir et sortis de la boutique, délivré de cette dernière délicate et scabreuse question…