Depuis quelques jours le microcosme politique loco-régional est en pleine effervescence suite à la publication de la répartition du numéro clausus.
par Jean Paul Briand
Médecin retraité à l’Argonne (Orléans)
En effet la région Centre Val de Loire est devenue la première région française en terme de pénurie de médecins. L’Indre-et-Loire et plus précisément la métropole tourangelle ne sont pas touchées par cette désertification médicale grâce à la présence d’un centre hospitalier universitaire (CHU). En effet, selon les spécialités (généralistes compris), 30% à 70% des jeunes médecins s’installent à proximité de leur CHU formateur.
A propos de la stagnation du numerus clausus en région Centre Val de Loire, les différentes interventions des personnalités politiques locales sont pour certaines sincères, même si une méconnaissance du dossier y est évidente. Pour d’autres, il s’agit d’une récupération politicienne afin de faire oublier leur manque d’initiatives constructives et efficientes voire leurs décisions contre-productives vis à vis de la dramatique désertification médicale qui sévit dans notre région.
L’incompétence des décideurs
Ce désastre sanitaire n’est pas arrivé là du jour au lendemain, ni par hasard. Il est le résultat de l’incurie chronique, de l’incompétence de décideurs arrogants et dogmatiques, uniquement obnubilés par l’aspect financier des politiques de santé. L’absence de vision à long terme, aggravée par des corporatismes irresponsables, a généré la « désertification médicale ». Aujourd’hui, si cette insuffisance de médecins touche essentiellement la médecine de proximité, dite de première ligne et assurée par les généralistes, les médecines spécialisées sont progressivement touchées.
La faute à mai 68
Après mai 68, de très nombreux jeunes bacheliers s’inscrivent en première année de médecine. Les conventions médicales nationales, dont la première date d’octobre 1971, solvabilisent toutes les demandes de soins et assurent des situations financières confortables à la profession médicale. Devant des flux importants de futurs médecins, post soixante-huitards, les technocrates gestionnaires de la santé de l’époque, craignant une inflation des dépenses, mettent en place une réduction drastique du nombre de médecins en formation. A partir de 1972 un concours sélectif, en fin de première année des études médicales, nommé « numerus clausus » (du latin « nombre fermé »), débuta. Aucune anticipation, aucune étude sur les modifications des comportements des patients, aucune estimation sur les besoins de soins de la population en rapport avec son accroissement, son vieillissement, l’augmentation des maladies chroniques et les nouvelles techniques d’investigations médicales ne seront faites. Seul l’argument financier l’emporte. Il fallut attendre le début des années 2000 pour qu’il y ait une prise de conscience de la catastrophe sanitaire à venir et que ce discours irrationnel évolue enfin.
La faute aux 35 heures
D’autres facteurs contribuent à amplifier la pénurie de médecins. Les 35 heures sont passées par là. A juste titre, les jeunes médecins n’acceptent plus de travailler 60 heures par semaine comme les anciens. La profession médicale s’est féminisée entraînant des modifications nécessaires et incontournables de l’emploi du temps des praticiens qui sont désormais, pour plus des deux tiers, des praticiennes. De nombreux médecins ont une activité salariée annexe et n’exercent pas en libéral à temps complet. Enfin, malgré les aides multiples, l’installation en libérale est de plus en plus tardive. Les nombreuses contraintes liées à la pratique libérale font peur aux jeunes générations qui choisissent de plus en plus souvent des postes salariés non dédiés aux soins.
Une régulation sélective maintenue
Fixé chaque année par le gouvernement, le numerus clausus détermine le nombre d’étudiants pouvant être admis en 2ème année dans chaque faculté de médecine. Ces quotas sont établis à partir des propositions de l’Observatoire National des Professions de Santé. Théoriquement cet outil de régulation de la démographie médicale est sensé améliorer la répartition territoriale des médecins en tenant compte de la liberté d’installation tant au niveau géographique qu’au niveau des modes d’exercice (libéral, salarié). Ce numérus clausus, tant décrié, a été desserré progressivement depuis 2003 et disparaîtra définitivement en 2020. Pour autant, ne nous leurrons pas, les effets de cette décision n’apparaîtront qu’à partir de 2030 et une régulation sélective sera maintenue.
La vraie sélection
Faculté de médecine de Tours
Le numérus clausus n’est pas la seule et principale régulation. Les décisions prises au niveau du numerus clausus ont un impact sur les effectifs d’internes en médecine avec un délai de 5 ans. La vraie sélection s’opère avec le concours d’internat en fin de deuxième cycle des études médicales. C’est ce concours national qui répartit les étudiants entre les différentes spécialités et dans les différents CHU de France. Le nombre de postes d’internes est donc fondamental. Le flux d’internes est normalement adapté aux besoins démographiques des régions. Lorsque l’on sait que beaucoup de jeunes médecins s’installent autours de leur faculté d’origine, ce sont les postes d’internes qui régulent la répartition des futurs médecins sur le territoire national. Le choix des internes se fait en fonction de leur classement au concours national. Ils se déterminent selon les capacités et la qualité de l’encadrement et de la formation dans les différentes facultés de médecine. Dans les CHU, les chefs de cliniques, nommés directement par les patrons après leurs années d’internat, encadrent et assurent la plus grande partie de cette formation.
Trouvez l’erreur…
Si une région est en manque de médecins, ce n’est pas uniquement en fonction d’un numerus clausus insuffisant. Si son rayonnement est reconnu, si la notoriété de ses hôpitaux est élevée, si la formation y est réputée et si sa capacité d’accueil en internat de CHU est attractive alors le numérus clausus puis le nombre de postes d’internes mis au concours national sont élevés.
Pour la région Centre Val de Loire, trouvez l’erreur…