« La meilleure façon de marcher est de mettre un pied devant l’autre et de recommencer ». Une lapalissade ? Pas si sûr ? Qui peut se vanter d’avoir toujours réussi à le faire ? Liliane Rovère, alias Arlette dans la série « Dix Pour cent » (France2) a placé cette maxime exergue de son autobiographie « La folle vie de Lili ». Des frisettes noires en savant désordre au-dessus d’un regard rehaussé de mascara, à 86 ans, désormais et depuis peu connue du grand public par la vertu de la télévision, Lili comme on l’a toujours appelée, présente son livre avec des précautions « d’une peureuse qui n’écoute pas ses peurs ». D’entrée de jeu, elle avertit, « j’ai eu une vie mouvementée, je suis une multi rescapée » puis elle ajoute « la frontière est poreuse entre ce qui relève du public et du privé…, entre ce qui n’est qu’à soi et ce qu’on partage avec d’autres et qui les engage. Cela va de soi je ne peux parler que de ma fenêtre ». Un point de vue qui donne le ton et son originalité au récit.
Quand d’autres dévident l’écheveau de leur vie en commençant par la fin, Lili en a repris le fil à son début pour nous faire partager son chemin et le replacer dans le vingtième siècle tel qu’elle l’a vécu, tel qu’il fut pour elle, dans le monde qui était le sien avec ses goûts, ses envies, ses tentatives, ses aléas, ses désillusions et ses réussites, toujours la même Lili qui mène la vie qui lui convient et se demande où va le monde .
Une enfant sous l’Occupation
« J’ai mal commencé dans la vie. La nature a voulu que ma mère m’expulse un jour fatal », le 30 janvier 1933, le jour où Hitler est chancelier du Reich. Pour une petite juive née de parents venus de Pologne à Paris et fraîchement naturalisés, difficile de rêver pire. 1940 l’étoile jaune obligatoire et une petite blonde qui la chasse d’une ronde parce qu’elle est juive. Des arrestations évitées de justesse, départ en désordre de la famille pour la zone libre après un passage par un collège de Montargis, séjours sous un faux nom dans plusieurs institutions catholiques. 1945 retour à Paris où l’appartement familial a été pris par d’autres.
Quinze ans, la beauté du diable et le jazz
Impossible de l’empêcher de sortir. Lili plonge à fond dans le Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre, descend dans les caves où çà swingue. On la voit au Tabou, au Montana, à l’Arlequin jusqu’à l’aube. Ce monde lui va bien elle en profite sans se préoccuper de l’avenir. Une nuit elle se retrouve chez Eddie et Nicole Barclay, échappe de justesse à une partie fine. Elle demande de la ramener chez elle à Boris Vian qui s’exécute.
« Ne pas se pourrir la vie avec ce truc-là »
Elle a 18 ans, elle danse dans un club de Saint-Germain, elle fume et pas que des cigarettes, deux copains l’invitent à les suivre dans un autre club aux Champs-Elysées. Ils avaient une voiture décapotable et elle beaucoup de naïveté. Ils roulent hors de Paris jusque dans les bois. Ils la violent l’un après l’autre. « Je ne me suis pas débattue. Je n’ai pas imploré, je suis restée muette… c’était ce que je pouvais faire de mieux. Je suis rentrée chez mes parents … J’ai décidé de ne pas en faire un traumatisme, de ne pas sacralisé ce moment-là… Je n’avais pas envie de me pourrir avec ce truc-là, on m’avait assez pourri la vie ce jour-là. A chaque fois, et il y en a eu, où ma vie a été menacée, je suis restée calme. Pendant, pas après ».
New-York et Chet Baker
1954 c’est le début de la guerre d’Algérie. Espérant qu’elle y trouvera un emploi, ses parents envoient Lili en Amérique chez un oncle. Quand elle entend New-York, elle pense aussitôt jazz. A peine débarquée, elle se rend au Birdland, un club mythique où jouent Count Basie, Miles Davis, Dizzy Gillespie ou Charlie Parker. « C’est le milieu dans lequel je me suis trouvé chez moi », milieu des musiciens qu’elle préférera à une vaste renommée théâtrale. C’est là qu’elle rencontre Chet Baker au bar. « Le coup de foudre fut pour lui, moi je me laissais porter par le flot, passive et ravie à la fois ». Il était marié mais si peu. Il l’enlève presque de chez son oncle. Pendant deux ans elle l’accompagnera de concert en concert aux USA puis en Europe. Aujourd’hui elle l’évoque « sans l’idéaliser, avec plaisir et affection et un peu de tristesse. Il était excessif ». L’héroïne le consumera bien après leur séparation.
Tout essayer sans en devenir esclave
Des joints elle en a fumé tôt. Elle a pris du LSD une fois « ça secouait trop pour moi », de la cocaïne, des amphétamines, de l’héroïne, elle a tout essayé admettant avoir eu beaucoup de chance, passant au travers de toutes les maladies. Curieuse de tout. « Inconsciemment, je ne voulais pas être esclave je pense, dépendante de rien. Je veux bien m’amuser, goûter, me défoncer, mais pas tous les matins », écrit-elle. Seul le tabac l’a eu même si elle s’en est débarrassée vers 40 ans.
Comédienne sans plan de carrière
Revenue en France, elle a 25 ans quand sa mère lui propose de lui payer des cours de théâtre. « Sans elle je n’y serai jamais allée, je ne voulais pas être actrice, j’avais peur d’être mauvaise ». Même si elle s’y trouve comme un poisson dans l’eau, son monde reste celui des musiciens. Elle mène une carrière sans plan, au gré des rencontres et de ses disponibilités. Avant de finir par en divorcer elle épousera sans passion le bassiste Bibi Rovere, un surdoué des clubs de Saint-Germain, un jaloux qui devint violent et sombra dans l’ héroïne. Elle évoque aussi avec une infinie tendresse l’adoption et l’éducation de sa fille Tina, l’arrivée de ses petits-enfants, une vie de femme qui n’a pas hésité à accompagner en Suisse jusqu’à l’ultime moment son amie Maïa qui en fin de vie avait opté pour « une mort choisie ».
L’effet « Dix pour cent »
Le succès de la série télévisée « Dix pour cent » a changé beaucoup de choses pour Lili. « Je suis beaucoup plus exposée médiatiquement et je reçois beaucoup plus de proposition de travail » dit-elle. Les abonnés de Netflix la découvriront en Juin dans la série « Family Business ». Des projets au cinéma et un au théâtre pour l’année prochaine lui ont été proposés. « C’est très gratifiant, mais moi je n’ai pas bougé d’un cheveu. Je suis toujours attachée à ne faire que ce qui me plaît », dit-elle.
Son livre qui swingue comme dans années folles où Saint-Germain- des-Prés fourmillait de tout ce que l’Amérique avait de talentueux jazzmen, ne triche pas avec ce que furent ces gens dont les disques s’arrachent toujours à prix d’or, ce que furent aussi leur entourage. Et Lili Rovére de conclure après avoir passé sa vie en revue : « je fais tout ce que je peux pour faire ce que je veux ». Une ligne de conduite avec laquelle elle n’a jamais transigé.
Françoise Cariès
« La folle vie de Lilli »
EAN : 9782221238769 Façonnage normé : BROCHE 20,00 €
Nombre de pages : 320 Format : 1 x 215 mm
editions Robert Laffont