Reconstruire Notre-Dame, oui, mais de quelle manière ?

4 juin 1836, des flammes déchirent le ciel chartrain, Notre-Dame brûle. Au terme d’une nuit interminable, les sapeurs-pompiers viennent à bout de l’incendie. Des réchauds laissés sans surveillance par des plombiers qui étaient montés faire des travaux de soudure seraient à l’origine du feu qui s’est déclaré dans les combles. La cathédrale de Chartres connaît en effet à cette date des travaux de réparation. C’est un spectacle de désolation qui s’offre au regard de la population en ce matin du 5 juin 1836 ; si la structure de l’édifice est épargnée, la cathédrale est à ciel ouvert, il ne reste rien de la charpente en bois de châtaignier, la toiture en plomb a même fondu sous l’effet de la chaleur.

Tableau de François Alexandre Penot relatant l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Chartres en 1836. Musée des Beaux-Arts de Chartres

Ce drame ne laisse pas Victor Hugo indifférent. Celui-ci s’associe à l’appel aux dons qui a été lancé pour rebâtir Notre-Dame de Chartres. L’État débloque également des crédits. Les travaux de reconstruction menés par l’architecte Édouard Baron assisté de l’ingénieur et industriel Émile Martin ne débutent que trois ans après l’incendie.

À l’issue de deux années de labeur, une charpente métallique de fonte et de fer soutenant une nouvelle toiture en cuivre rend à la cathédrale sa magnificence. Cette toiture est toujours présente de nos jours.

Notre Dame à Paris, le 15 avril dernier

15 avril 2019, des flammes déchirent le ciel parisien, Notre-Dame brûle. L’incendie se serait déclenché dans la charpente au niveau de la noue, là où se croisent la nef et le transept de la cathédrale. Comme à Chartres, il y a 183 ans, il n’y a fort heureusement pas eu de victimes. Comme à Chartres, le peuple de Paris et tous les Français ont suivi incrédules le spectacle impensable et tragique de la destruction d’un édifice cultuel et culturel si emblématique de notre capitale et de notre pays. Comme à Chartres, une fois l’effroi passé, alors que l’on découvrait qu’au milieu des décombres brillait toujours la Croix, un élan de solidarité nationale s’est fait jour pour sa reconstruction.

Reconstruire Notre-Dame, oui, mais de quelle manière ?

Au lendemain de l’incendie, le Président de la République française, Emmanuel Macron, a affiché un objectif très ambitieux : « Nous rebâtirons la cathédrale Notre-Dame, plus belle encore, et je souhaite que cela soit achevé d’ici 5 années, nous le pouvons. » De son côté, le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé l’organisation d’un concours international d’architecture pour déterminer « s’il faut reconstruire la flèche qui avait été pensée et construite par Viollet-le-Duc à l’identique, ou s’il faut, comme c’est souvent le cas dans l’évolution du patrimoine et des cathédrales, doter la cathédrale de Notre-Dame de Paris d’une nouvelle flèche adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque. »

Au-delà du défi technique imposé par un délai si court, un débat est immédiatement apparu, une sorte de nouvelle querelle entre les Anciens et les Modernes. Faut-il reconstruire les éléments irrémédiablement perdus à l’identique ? Ne faut-il pas laisser s’exprimer, au contraire, le génie moderne d’architectes respectueux de la dimension spirituelle du lieu et utiliser des matériaux en phase avec notre siècle naissant ?

Les Anciens

Combles de la cathédrale de Chartres

Pour les Anciens, un péril bien plus grand que le feu menace la cathédrale Notre-Dame de Paris : sa reconstruction. Il est dans leur esprit inconcevable d’apposer une toiture contemporaine sur ce monument classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il faut selon eux, comme ce fut le cas avec La Fenice ou le parlement de Bretagne, reconstruire à l’identique. Ils revendiquent d’ailleurs l’obligation morale de laisser notre époque sur le parvis de la cathédrale. Cet avis est défendu par des architectes de renommée internationale comme Denis Valode et Jean Pistre, fondateurs de la première agence d’architecture de France (agence Valode & Pistre). Ces derniers s’insurgent contre les projets de certains de leurs confrères à vouloir moderniser Notre-Dame de Paris à l’occasion de sa reconstruction. Selon eux, Notre-Dame doit être reconstruite exactement à l’identique et avec les mêmes matériaux ! La forêt française abritant largement le bois de chêne nécessaire pour cela.

Les Modernes

Projet de reconstruction du cabinet d’architecture dijonnais Godart+Roussel

Tout autre son de cloche chez les Modernes. Ces derniers rappellent non sans raison que les cathédrales, comme d’autres monuments historiques, sont en réalité des édifices composites où l’unité de style n’est le plus souvent qu’un lointain souvenir. Dans cette perspective, il est illusoire dans leurs pensées de reconstruire l’image du passé ; le projet architectural qui sera retenu doit représenter notre époque. Pour eux, le délai présidentiel imparti, cette temporalité laïque et politique, ne permettra pas de refaire la charpente en bois. Ainsi, l’architecte Marc Mimram, qui a dessiné le nouveau stade Roland-Garros à Paris, estime que « si on veut aller vite, il vaut mieux ne pas le faire en bois ». Le camp de ces experts rappelle l’exemple de la cathédrale de Reims qui avait été détruite par des bombardements pendant la Première Guerre mondiale et où le béton armé fut utilisé pour sa reconstruction selon le souhait de l’architecte Henri Deneux. Dans d’autres cathédrales, comme à Chartres, on utilisa la fonte. L’architecte Jean-Michel Wilmotte imaginerait très bien pour sa part une couverture en titane qui a le même aspect que le plomb mais pèse trois fois moins lourd ; il se prête même à rêver d’une flèche en carbone. On le voit, les projets ne manquent pas, comme celui du cabinet d’architecture dijonnais Godart+Roussel qui envisage la réalisation d’un toit fait de verre, d’acier et de cuivre !

Il est venu le temps des stigmates

Les deux tiers de la toiture réduits en cendres, une flèche effondrée, une partie de la nef touchée ; le temps nous semble aujourd’hui être davantage à la réflexion sur la sécurisation de l’édifice. C’est l’urgence immédiate. Viendra ensuite la pose d’un gigantesque parapluie sur la totalité de l’ouvrage d’art pour protéger le site et débuter les travaux. Ceci prendra du temps. L’examen méticuleux de l’état de la structure qui s’en suivra ne sera pas sans incidences sur les projets architecturaux de restauration. La charte de Venise, dont la France est signataire, dispose dans son article 10 que « Lorsque les techniques traditionnelles se révèlent inadéquates, la consolidation d’un monument peut être assurée en faisant appel à toutes les techniques modernes de conservation et de construction dont l’efficacité aura été démontrée par des données scientifiques et garantie par l’expérience. »

N’en doutons pas, les débats sur les travaux du toit et de la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris ne font que commencer ; ils seront passionnés. Dans les années à venir, tous les yeux se tourneront vers ce toit et cette flèche à faire renaître. Il ne faudra toutefois pas oublier leur puissance spirituelle et symbolique car c’est bien la maison de Dieu qu’il s’agit de restaurer à l’identique ou de reconstruire.

Jean-Pierre Delpuech

Jean-Pierre Delpuech est professeur d’Histoire-Géographie, directeur éditorial des Éditions Infimes. Il s’intéresse en particulier aux questions de mémoire et de patrimoine.

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