Une fois encore, à l’instar des heures noires de la vague d’attentats terroristes, les Français se retrouvent sur leurs places de la République pour manifester leur émotion solidaire face à la résurgence de la haine.
Par Pierre Allorant.
Impasse des giratoires
Après une visite à Gargilesse-Dampierre, Emmanuel Macron était attend à Déols. Photos YD
Avec ses pulsions bonapartistes initiales, paradoxales pour un mouvement porteur par ailleurs d’aspirations « horizontales » de participation, les « Cent jours » des Gilets jaunes, en phase de lente décrue, mettent à découvert des algues brunes nauséabondes, en un ressac de l’histoire contemporaine qui ne peut plus se réduire à une dérive marginale.
Alors que l’horizon semblait s’éclaircir pour le pouvoir, le mouvement social s’embourbe au risque de se pervertir. D’un côté, Emmanuel Macron, revigoré par ses débats-marathons d’un département rural, l’autre, d’Etang-sur-Arroux à Gargilesse, semble renouer avec le Tour de France par deux enfants, le populaire bréviaire patriotique de la Troisième République, la perspective d’un référendum sur les institutions complété de mesures de justice sociale commençant à dessiner une sortie de crise.
Mais de l’autre, avec l’incendie de permanences et de résidences de parlementaires, le caillassage de fourgons de police, les violences physiques, intimidations et insultes, y compris envers ses propres leaders (singulièrement des femmes, telle Ingrid Levavasseur), vers quels récifs divague ce bateau ivre de colère ?
Rue des Juifs : le sens interdit de la haine
Comme tout mouvement populiste en France depuis 130 ans et la fièvre boulangiste, le chemin (de croix de toutes sortes) est balisé : il mène vers l’impasse ignoble de la haine des Juifs, bouc-émissaire de toujours, de l’anti-judaïsme chrétien à l’antisémitisme contemporain. Et quelle tristesse de voir certains perdre dans ce tourbillon les repères les plus fondamentaux : quel Jaurès d’aujourd’hui viendra expliquer aux tenants « de gauche » de la haine d’Israël que personne ne leur conteste le droit de critiquer le gouvernement Netanyaou, mais que focaliser toute sa capacité d’indignation sur l’existence même d’un État, c’est autre chose ; et surtout de la part de ceux qui montrent tant d’indulgence, de par le monde, pour les bourreaux de leurs propres peuples, de Damas à Caracas. De quel autre État dans le monde exige-t-on la liberté de réclamer l’éradication ?
Ce sens interdit par la loi depuis la Libération, celui de l’appel à la haine raciale et à l’antisémitisme, il a été pris à contre-sens depuis la campagne présidentielle sur fond de vieille rengaine de « la banque Rothschild », insidieux soupçon d’allégeance déjà distillé contre Pompidou en un rejet de la faille des vociférations des années trente (la « vaisselle en or » de Léon Blum, et Orléans, ville de Jeanne d’Arc, « livrée aux juifs Zay et Léwy »).
De la Place du Panthéon à l’esplanade de la Liberté
En découvrant ces jours derniers les photos de cimetières profanés, de boîtes à lettres taguées de croix gammées recouvrant le visage de Simone Veil, notre Marianne du XXe siècle à peine entrée au Panthéon, reviennent à la mémoire les mots désespérés de Primo Lévi dans son chef-d’œuvre Si c’est un homme. Face à à cruauté gratuite du gardien de camp SS, la question simple du déporté : « Warum ? » (Pourquoi?), ne trouve aucune réponse autre que : « Ici, il n’y a pas de pourquoi ».
L’histoire ne se répète jamais à l’identique, mais c’est tout sauf un hasard si, partout en Europe, de l’Alsace à la Pologne, revient le temps du mépris, du repli, de la stigmatisation, du rejet des « élites mondialisées ». On ne bâtira rien sur ces immondices. Raison de plus pour répondre sérieusement, sans tarder, aux vrais défis du présent : l’approfondissement démocratique, le renforcement des libertés, le droit d’accès aux services publics et en premier lieu de santé et d’éducation, la lutte contre toutes les formes de discrimination et d’inégalité. Sans injure ni huile de ricin, par le débat puis par le vote, l’alpha et l’oméga des procédures républicaines.
Oui, Avenue des droits de l’Homme ou Boulevard du populisme, la haine ou la vie ensemble : il va rapidement falloir choisir sa voie. Celle des Chemins de la liberté. Mais cette fois, en sens inverse de la trilogie de Sartre, commençons par La Mort dans l’âme, pénétrés du sentiment de vivre Le Sursis de notre société démocratique, histoire de mieux en atteindre L’Âge de raison.
P.A