La saison des pêches d’étangs a débuté en Brenne depuis le mois d’octobre et ce lundi, c’était au tour de la Gabrière d’être pêchée suivant des gestes ancestraux qui perdurent malgré les difficultés rencontrés par ce secteur.
Le jour se lève doucement sur les paysages de la Brenne et une poignée d’hommes ont déjà les cuissardes dans l’étang. Large filet installé en arc de cercle, « filanche », une forme d’épuisette traditionnelle, à la main, ils se relayent pour attraper les poissons retenus captifs. Gardons, tanches, brochets, sandres, perches et surtout la fameuse carpe de Brenne sont sur la liste des espèces à prendre. Ce lundi, dès 8 h, une trentaine de personnes se sont données rendez-vous à l’étang de la Gabrière pour le pêcher.
Depuis un mois, il était doucement et régulièrement vidé pour assurer un niveau d’eau suffisamment bas pour la capture, mais pas trop au risque de blesser ou tuer les futures prises. Depuis des décennies, des siècles, la chaine est la même : capture, tri et pesée. Les gestes sont instinctifs et la journée se déroule à mesure que les mailles des filets se resserrent. Petit à petit, les poissons finissent dans les bacs oxygénés des camions du pisciculteur. Gilles et Solange Debeauvais, les propriétaires de la Gabrière, ont confié son exploitation à l’entreprise Couturier. En Brenne, en tout, ils sont huit exploitants piscicoles à se partager l’activité. « Pour nous, c’est un temps fort. On a commencé les pêches depuis un mois, mais la Gabrière est le plus grand étang que l’on pêche », note Julien Darreau, gérant de Pisciculture Couturier. En effet, le plan d’eau est l’un des plus vastes du territoire, 120 hectares, et des plus vieux, façonné au XIIIème siècle. La Brenne compte environ 4 000 étangs, 8 800 hectares d’eau. « En tout, on ferra 150 étangs. Les carpes seront ensuite stockées pour être principalement revendues, en fonction de leurs besoins, à l’atelier de transformation Fish Brenne. Les gardons et les carnassiers serviront pour l’empoissonnement et la pêche de loisirs. »
A l’une des tables de tri, Adélaïde répartie les prises les unes après les autres dans les bacs plastiques. « Ça ne me dérange pas d’avoir les mains dans le poissons et dans l’eau, s’amuse-t-elle avec ses larges gants. C’est la troisième année que je reviens, ça me plait vraiment. Il y a une bonne ambiance, on rigole… » Un sentiment partagé par Joël, installé à la table suivante. « C’est pénible, mais on aime se retrouver ensemble. Ça ressemble quand même à une journée de détente et en plus il fait beau » se réjouit ce retraité présent ici depuis une dizaine d’années. Comme pour eux, ces rendez-vous d’automne sont chaque fois un rituel que beaucoup de Brennous ne manquent pas. Sur les rives de la Gabrière, les spectateurs sont venus tôt assister au travail des pêcheurs, répétition de gestes ancestraux et pilier de la vie locale. L’activité façonne le temps et les plans d’eau. « On ne se lasse pas des pêches d’étangs. Ça fait parti de la vie de la Brenne, mais c’est de plus en plus compliqué à gérer » déplore Gilles Debeauvais, le propriétaire. Malgré la passion que beaucoup porte à cette pêche, le secteur de l’aquaculture de poissons d’eau douce en Brenne, deuxième région piscicole de France après la Dombe, rencontre aujourd’hui des difficultés de plus en plus contraignantes pour les exploitants comme pour les propriétaires d’étangs au point que certains décident d’abandonner l’activité.
Des espèces mal-aimées
Ici, l’ennemi n°1 est identifié depuis une dizaine d’années : le cormoran. Au départ migrateur, l’oiseau, vorace, a trouvé son intérêt en s’installant ici à l’année. Il ingurgite 30 % de la production annuelle de poissons, soit environ 400 tonnes sur les 1200 produites, une perte d’un million d’euros pour le secteur. D’autres espèces représentent également des problèmes croissants, poissons chats, jussy, écrevisse rouge de Louisiane, toutes classées exotiques et envahissantes. « Il y a deux ans, nous avons fait un investissement de 40 000 euros pour installer au niveau des bondes de grands barrages avec des plaques perforées pour empêcher leur arrivée, explique Gilles Debeauvais. Et l’an prochain, à la suite de l’assec, nous prévoyons 10 000 euros de gros travaux, comme du curetage. Un étang pas entretenu tourne vite. » Les questions de gestion de l’eau, à mesure que le réchauffement climatique modifie le climat et les températures, deviennent aussi des enjeux cruciaux.
En effet, le système de déversement des étangs les uns dans les autres, fait de l’eau une ressource partagée, notamment au moment de les re-remplir. Dès lors, le manque pose problème et interroge certains qui peuvent hésiter à vider, impactant toute la chaine. Deuxième source d’inquiétude pour les propriétaires : la mise en place d’un nouveau schéma d’aménagement et de gestion de l’eau qui risque de reclasser certains fossés de vidange en cours d’eau. Les mises en assec dépendraient alors de calendriers définis en fonction des besoins de ces ruisseaux, contrainte supplémentaire pour les pisciculteurs et les propriétaires qui perdraient cette maitrise. « Des gens héritent d’étangs, mais comme l’entretien est contraignant et compliqué, ils ne s’en occupent pas… fait remarquer Gilles Debeauvais. Et comme nous sommes en chaine, nous nous impactons tous les uns les autres. » La Gabrière, en queue de chaine, reçoit l’équivalent de 400 hectares de plan d’eau en bassin versant.
Alors ici, certains habitants comptent plus sur la chasse et les chasseurs, que sur les écologistes pour maintenir en état les paysages, les chemins de randonnées, les allées ou les étangs, et les traditions vivaces. La direction du Parc naturel régional de la Brenne est parfois montrée du doigt pour « transformer le secteur en parc d’attraction vert ». Les locaux s’inquiètent du manque d’investissement et de soutien au développement économique dans des secteurs clés, comme celui de la pisciculture.
Morgane Thimel.
Prochaines pêches à venir
En deux jours, lundi et mardi, entre dix et quinze tonnes de poissons seront tout de même pêchées dans la Gabrière. « C’est de bon augure pour la suite, ça représente une bonne pêche, notamment au niveau de la carpe » se réjouit Julien Darreau. Ils s’ajoutent aux dix tonnes déjà capturées cet été.
D’autres pêches ouvertes au public auront lieu en Brenne d’ici quelques semaines. Le vendredi 21 décembre, ce sera au tour de l’étang Bénisme, commune de Rosnay, à partir de 8 h 30, puis, le 10 janvier, l’étang Barineau, dans la même localité, à partir de 9 h 30. Ce même jour, des animations seront proposées au niveau des deux étangs Massé et Foucault avec présentation des poissons d’étangs et explication autour de la pêche.