A deux années d’intervalle, en 2007 et 2009, le Brésil se voyait attribuer la Coupe de monde de Football et des Jeux Olympiques. L’organisation de ces événements prestigieux illustrait le rôle nouveau du pays sur la scène mondiale. Vanté par les dirigeants internationaux, Lula, président de 2003 à 2011, incarnait alors la gauche progressiste, qui a sorti des millions de personnes de la pauvreté et a fait du Brésil une puissance mondiale au plan économique et diplomatique.
Presque 10 ans plus tard, c’est un pays replié sur lui-même, terrassé par l’insécurité et gangréné par la corruption qui vient d’élire à sa tête Jair Bolsonaro, un président misogyne, homophobe, raciste et nostalgique de la dictature (1964-1985), à des années lumières de ce que représentait Lula. Comment expliquer l’ascension fulgurante de ce personnage dans un Brésil en plein déclin ?
Le 28 octobre 2018, près de 58 millions de brésiliens ont voté lors de l’élection présidentielle pour le leader du Partido Social Liberal (PSL) d’extrême droite, Jair Bolsonaro, contre 47 millions de voix pour son adversaire, Fernando Haddad du Partido Trabalhista (PT) situé à gauche, le parti historique de Lula. Ce dernier, grand favori de l’élection jusqu’à ce qu’il soit condamné pour corruption et donc inéligible, a assisté depuis la prison de Curitiba à des scènes de liesse dans les grandes villes brésiliennes, où les partisans de Bolsonaro célébraient la victoire du candidat de l’ordre, de la religion évangélique et de l’agro-business.
Jusqu’à peu, le nouveau président était inconnu du grand public, il incarnait l’espoir dans une frange très minoritaire du Brésil nostalgique du temps de la dictature où la police et l’armée « faisait ce qu’il y avait à faire » selon leurs termes, en référence aux actes de torture du régime. Cette situation était encore valable il y a deux ans à peine, en 2016, peu après la destitution de Dilma Roussef (PT) au profit de Michel Temer (PSDB – droite). Ce dernier a profité d’une dégradation de la situation économique, qui s’est amorcée dès 2011 et s’est amplifiée en 2015 et 2016 avec deux années de récession, pour prendre le pouvoir.
Porté par la crise économique, politique et sécuritaire
Cette crise a mis en lumière la fragilité d’une économie basée avant tout sur la rente de son agriculture et sa dépendance aux échanges internationaux. Les scandales de corruption gigantesques concernant d’importantes entreprises publiques comme Petrobras ont aggravé l’ampleur de la crise et l’ont porté sur le champ politique. L’affaire Lava Jato a démontré l’implication de hauts responsables politiques dans des systèmes de corruption hautement sophistiqués. Mené par le juge Sergio Moro, l’enquête a fait tomber Lula et Dilma Roussef, les figures de la gauche progressiste qui pour une partie de l’opinion incarnent la corruption de la classe politique.
La fracture sociale que Lula avait commencé à réduire
De surcroît, cette crise économique a rouvert de manière béante la fracture sociale que Lula s’était employée à réduire. Effectivement, Ce sont les classes moyennes-pauvres qui, sorties de la pauvreté sous le gouvernement de l’ancien leader du PT, ont souffert de la baisse des fonds alloués aux services publics. Tandis que les classes les plus riches ont continué d’élever leurs niveaux de vie et de se barricader dans des quartiers fermés sous la protection de gardes armés, avec la bienveillance des autorités. Ces inégalités criantes ont renforcé le sentiment d’injustice d’une partie de la population qui amène irrémédiablement à la violence.
Avec un assassinat toutes les dix minutes en moyenne, le Brésil vit aujourd’hui une des périodes les plus violentes de son histoire. Entre 2006 et 2016, c’est près de 500 000 personnes qui ont été tuées. A titre comparatif, le conflit syrien a fait 350 000 victimes en sept ans. Ce niveau de violence démesuré dans un pays en paix demeure la principale préoccupation des brésiliens, qui l’ont fait savoir lors de la campagne présidentielle avec le choix de Bolsonaro qui promet de restaurer l’ordre en légalisant le port d’armes et en fermant les yeux sur les bavures policières.
L’ami des lobbys agricoles et de l’église évangélique
La crise a également profité à l’église évangélique, qui voit son poids grandir d’année en année dans le plus grand pays catholique du monde. Fidèle à des valeurs néo-conservatrices, contre le mariage homosexuel et ce qu’ils nomment la « sexualisation précoce » des enfants, cette église a su s’implanter dans les quartiers pauvres délaissés par l’État. Elle a aussi séduit les classes les plus aisées, blanches et partisanes d’un retour des valeurs précitées comme piliers dans une société meurtrie. C’est ainsi -et bien évidemment sans intérêt aucun- que Jair Bolsonaro s’est converti en 2016 à cette religion et a rallié cet électorat à sa cause.
Sécurité, religion, il ne manquait qu’un B au candidat d’extrême droite pour incarner à la perfection les valeurs du lobby ultraconservateur BBB « Boi, Biblia, Bala » pour bœuf, bible et balle. Ce lobby, composé de grands producteurs terriens, détient en partie la dette publique mais surtout les clés de l’économie du pays. Il a adoubé Bolsonaro et son programme écologique inexistant qui permettra d’entreprendre des projets sans quelconque préoccupations environnementales et humaines en Amazonie. Bolsonaro promet enfin un une économie ultra-libéralisée, édictée par un Chicago Boy, Paulo Guedes, qui est fondé sur des privatisations massives d’entreprises publiques pour éponger la dette. Tinté de démagogie, ce programme prévoit aussi une augmentation de la Bolsa Familia, la bourse créée par Lula pour sortir des millions de personnes de l’extrême pauvreté, qui serait transformée en un salaire minimum.
Toutes ces raisons : discrédit de la classe politique traditionnelle, condamnation de Lula, violence disséminée, religion et appui des élites économiques ont donc conduit l’homme épargné par les scandales, Jair Bolsonaro, aux plus hautes fonctions politiques. Moins compétent que Donald Trump, qu’il admire par ailleurs, le tout nouveau président élu a déjà entrepris ses premiers chantiers. Nomination du juge Moro, qui a condamné le vainqueur désigné Lula, au poste de ministre de la Justice, fusion des ministères de l’Agriculture et de l’Environnement, transfert de l’ambassade du Brésil à Jérusalem, autant d’actions qui laissent présager le pire.
En somme, si Jair Bolsonaro a su s’élever dans le chaos ambiant au Brésil, il pourrait également être à l’origine de son explosion.
T.LB