
Sébastien Roch ill Dignimont ed Nationales 1934
“Malgré son trouble, Sébastien ne pouvait s’empêcher de remarquer malicieusement que cette piété exaltée, que ces ardentes extases divines s’accordaient difficilement avec le plaisir plus laïque, de fumer des cigarettes et de boire des verres de liqueur. Et l’agitation insolite du Père, le frôlement de ses jambes, cette main surtout, l’inquiéta. Cette main surtout l’inquiéta. Cette main courait sur son corps, d’abord effleurante et timide, ensuite impatiente et hardie. Elle tâtonnait, enlaçait, étreignait.”
“Sébastien Roch” Octave Mirbeau
« Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! »
La multiplication des affaires de pédophilies touchant l’église à travers le monde semble révéler un phénomène criminel dont on découvre l’ampleur, à chaque affaire plus étendue, touchant des milliers de victimes traumatisées lourdement par ces crimes le plus souvent impunis.
Il est pourtant un auteur qui dès la fin du XIXe siècle décrivait et dénonçait cette réalité institutionnelle dans un roman quasi autobiographique intitulé “Sébastien Roch”, dans lequel il racontait le viol et la lente descente aux enfers d’une jeune victime pensionnaire dans une institution religieuse. Mais alors qu’Octave Mirbeau est un auteur de roman connu pour son “Journal d’une femme de chambre” dénonçant les turpitudes ancillaires de la bourgeoisie d’alors, roman qui connut pas moins de quatre adaptations au cinéma, “Sébastien Roch” resta et reste en revanche un ouvrage confidentiel, aujourd’hui presque introuvable sauf en occasion plus ou moins ancienne (il est lisible dans son intégralité sur le site internet http://www.leboucher.com/pdf/mirbeau/sroch.pdf avec une excellente préface de Pierre Michel)
Une omerta partagée
Ce livre d’Octave Mirbeau décrit pourtant avec acuité non seulement les ravages psychologiques de ce traumatisme sur le jeune adolescent, mais aussi analyse avec beaucoup de pertinence ce que l’un des premiers film en France dénonçant les viols en institution, appelait justement “La conspiration des oreilles bouchées”. Car c’est bien de cette réalité dont il faut parler, de cette omerta partagée tant par les parents que par les responsables hiérarchiques, toujours moins sensibles au drame vécu par l’enfant, qu’inquiets de l’opprobre publique devant ces crimes qui touchent évidemment plus largement que l’Eglise et dont ce roman d’Octave Mirbeau semble la victime éditoriale.
« la religion d’amour » et « la Révolution » [sont] « unies aujourd’hui dans un même esprit de ténèbres, dans une même folie de domination haineuse. » O. Mirbeau
Qualifié d‘”irrécupérable” par Jean Paul Sartre, Octave Mirbeau était un anarchiste convaincu et le restera, il dénonçait ainsi les pratiques pédagogiques cléricales mais aussi républicaines qui se révélaient souvent tout aussi autoritaires, ne laissant que peu de place à l’initiative et à l’autonomie de l’élève. Bien avant “Les libres enfants de Summerhill”, Octave Mirbeau revendiquait le droit à la parole des enfants et donc à une véritable écoute des maitres, parents et éducateurs, seul véritable moyen de mettre au jour et de punir ces crimes qui pervertissent toute forme d’autorité.
Un livre indispensable.
Gérard Poitou

Octave Mirbeau,(1848 – 1917), cumula les statuts d’écrivain à succès, de critique d’art, de journaliste influent et de pamphlétaire redouté. En plus d’une célébrité européenne et de grands succès populaires, il fut également apprécié et reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques de cette fin du XIXe siècle .Défenseur des impressionnistes, Octave Mirbeau fut un romancier novateur, qui contribua à l’évolution du genre romanesque, mais aussi un dramaturge, à la fois classique et moderne.. Critique sans pitié de la “Belle Epoque”
, le roman Le Calvaire, qui paraît en novembre 1886, lui vaut un succès de scandale, notamment à cause de la démystification de la débâcle de l’armée de la Loire pendant la guerre de 1870 qui fit hurler les nationalistes .
Puis il publie
L’Abbé Jules (avril 1888), roman dostoïevskien dont le héros, Jules Dervelle, est un prêtre révolté, déchiré par ses contradictions et fauteur de scandales avant
Sébastien Roch (mars 1890). Octave Mirbeau remporte de nouveaux succès de ventes et de scandales avec
Le Jardin des supplices (juin 1899) et
Le Journal d’une femme de chambre (juillet 1900), puis avec
Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique (août 1901) ; il connaît alors un triomphe mondial au théâtre avec
Les affaires sont les affaires (1903), suivi par
Le Foyer (1908), deux comédies de mœurs au vitriol.
Octave Mirbeau reste inclassable, ne se pliant à aucune des théories et des écoles, et il étend à tous les genres littéraires sa contestation radicale des institutions culturelles, farouchement individualiste et libertaire, il incarne une figure d’intellectuel critique désespéré.
Après sa mort totalement accablé par la guerre, sans doute trop dérangeant, tant sur le plan littéraire et esthétique que sur le plan politique et social, Octave Mirbeau sombre dans un oubli éditorial seulement rompu par les adaptations cinématographiques du “Journal d’une femme de chambre” de Jean Renoir et Luis Bunuel.