Les maires des petites communes et des communes rurales sont de plus en plus nombreux à démissionner. Pourquoi ce mal être ? Un sentiment d’oubli, d’injustice que dit bien cet élu d’une petite commune du Loiret, Rebréchien, 1.350 habitants. Il pointe la fracture numérique, médicale, le sentiment d’éloignement, les 80 km/h qui ne passent pas… Thierry Leguet est maire adjoint de Rebréchien
“Lettre ouverte d’un élu rural
Thierry Leguet, maire adjoint de Rebréchien.
La France rurale se meurt, oubliée par l’État qui la condamne à disparaître. Comme beaucoup de français, j’ai fait le choix d’habiter à la campagne, un petit village loirétain entre la forêt domaniale d’Orléans et les terres agricoles de Beauce, et aujourd’hui à l’image de mes concitoyens je me pose beaucoup de questions sur le devenir de ces petites communes où l’on nous disait qu’il y fait si bon vivre.
Mon petit village est limitrophe de la métropole d’Orléans, pourtant il semble comme oublié, délaissé, presqu’abandonné par nos dirigeants qui depuis Paris ont sans doute manqué de courage politique pour donner aux habitants ruraux les mêmes droits que ceux accordés aux habitants des villes. Ma commune s’appauvrit, en quelques années les dotations de l’État ont baissé de 40 % et elle n’est plus en capacité à investir dans quoi que ce soit. Fini les investissements et les projets d’équipements. Il y a encore, mais pour combien de temps, une petite école dont les classes ferment les unes après les autres et un petit stade qui lorsqu’il n’est pas envahi par les gens du voyage permet aux gamins de jouer un peu. Ici, la population vieillit et diminue par manque d’attractivité.
Zone blanche
Imaginez, même les ondes désertent l’endroit. Zone blanche dans certaines rues, la téléphonie ne passe pas et l’internet très haut débit n’existe pas davantage. La première fracture est donc numérique. Les opérateurs avec la complicité de l’État se sont gavés en câblant les villes, avec un maximum d’abonnés sur un petit territoire sans se voir en contrepartie imposer d’offrir ces nouvelles technologies à des abonnés plus dispersés résidant sur de plus vastes territoires. Une France à deux vitesses, celles qui peut communiquer et celle qui ne le peut pas, celle qui peut télétravailler et celle qui doit se déplacer pour aller travailler. Habiter la campagne, c’est obligatoirement avoir une voiture, à minima pour faire ses courses, car il y a bien longtemps que les commerces de proximité ont disparu, le boucher, les bars, la station essence, même l’annexe de la poste a fermé. Ceux qui restent se comptent sur les doigts d’une main et vivent sous perfusion.
L’enrichissement des sociétés d’autoroute
Et puis souvent une automobile ne suffit pas. Deux à trois véhicules par foyer sont parfois nécessaires. Sinon comment aller travailler, comment rejoindre l’Université pour étudier et préparer son avenir ? Le bus ? Ah oui c’est une solution palliative. Pour rejoindre le lycée de secteur situé à Orléans, il faut se lever à 6h et être à l’arrêt de bus à 6h45 pour arriver à 7h15, puis attendre 45 min devant le lycée. Le bus Rémi suivant, celui de 7h20 vous ferait arriver en retard et les portes seraient déjà closes. Aujourd’hui, à plus d’1€60 le litre de carburant, aller travailler en ville coûte de plus en plus cher. Un budget important, en constante augmentation, avec les assurances, l’entretien, les pneus à changer à force de rouler sur des routes secondaires abîmées.
Là encore, l’état a failli en permettant l’enrichissement des sociétés d’autoroute qui reversent chaque année plusieurs milliards de dividendes à leurs actionnaires, sans avoir jamais exigé d’eux quoi que soit pour favoriser l’entretien du réseau secondaire. Dix pour cent de ces profits suffiraient chaque année à réhabiliter à minima ce réseau secondaire, où pour toute solution et au nom de la sécurité, il nous est désormais demandé de rouler à 80 km/heure sur des routes parsemées de radars automatiques. À 2 € le litre d’essence à horizon 2020, si les salaires ne sont pas très vite revalorisés mieux vaudra rester chez soi à toucher le RSA plutôt que de se lever pour aller gagner un Smic à 1.149 euros. Mais de quelle France veut-on à vouloir empêcher les ruraux d’aller travailler en ville, la France du travail où la France de l’assistanat ?
Alors oui, la France rurale va mal. Elle va mal mais elle ne peut pas se soigner. La région Centre, pourtant limitrophe de l’Ile de France est tout simplement classée dernière région de France en offre de soin. D’ici les urgences sont à 45 minutes lorsque la circulation est favorable. Les médecins partent en retraite les uns après les autres sans jamais être remplacés. Les maternités ferment et les déserts médicaux s’installent. On nous annonce une réforme du numerus clausus. Ça ne rassure pas pour autant. On ne changera pas le problème tant qu’on n’imposera pas aux médecins libéraux de s’installer là où les besoins sont les plus grands.
Désert médicaux
Après tout, ce sont nos cotisations et notre système social de santé qui les rémunèrent. Pourquoi ne pas imposer un taux de conventionnement en fonction de leur lieu d’installation ? 100 % partout où il y a des besoins et des déserts médicaux, moins sur la côte d’azur. Avec de la volonté et du courage politique on peut toujours changer les choses, on peut redonner aux ruraux la possibilité de continuer à vivre décemment à la campagne. Mais pour cela nous avons besoin d’une politique forte sur les thématiques de la communication, du transport et de la santé, faute de quoi les petits villages se meurent, la France rurale court à sa perte et c’est l’unité même du pays qui s’en trouve remise en cause.
Thierry Leguet
Maire Adjoint de Rebréchien (45470)
- Les intertitres sont de la rédaction.