La fin du mois d’août est bien ce moment de passage délicat entre les grandes vacances estivales et la rentrée, attendue avec un mélange d’impatience, d’excitation et d’appréhension. C’est tout particulièrement le cas cette année, de la météo contrastée aux soubresauts de Parcoursup, et davantage encore pour un pouvoir secoué fin juillet par une affaire qui a terni l’image du président de la République, et un gouvernement amputé ce matin de sa principale recrue de l’an dernier, l’emblématique ministre d’État Nicolas Hulot.
Par Pierre Allorant
Ouverture de la chasse, tout est permis
La démission ce 28 août du ministre de la Transition écologique et solidaire ne peut être réduit au dernier rebondissement des états d’âme de l’animateur médiatique, ouvertement mal à l’aise d’emblée au sein d’un gouvernement qui n’a jamais caché son caractère non seulement pro-business, mais au surplus à l’écoute des lobbys y compris nucléaire.
En effet, c’est bien tout l’équilibre et au-delà la capacité de séduction du gouvernement Philippe qui est mis en cause par cette démission si mal venue pour lui. Alors que ni Sarkozy ni Hollande n’avaient réussi à convaincre Nicolas Hulot d’accepter de franchir le pas des responsabilités gouvernementales, la nomination du populaire chantre de la transition écologique avait matérialisé la force de séduction du macronisme naissant et triomphant en juin 2017. Le fait que la démission mûrement réfléchie de ce poids lourd du gouvernement s’accompagne de la liste des griefs et des manquements – voire des reniements – en la matière d’un gouvernement décidément plus sensible au pouvoir d’achat des chasseurs qu’à l’urgence de ne pas limiter à un slogan le désir de « make our planet great again » ne fait qu’aggraver les dégâts. Si les deux têtes de l’exécutif avaient pu croire qu’un traitement psychologique bienveillant agrémenté du renoncement à l’aéroport de Notre Dame des Landes suffirait à amadouer l’indomptable amateur de 4X4 sur les chemins bretons et corses, ils se sont lourdement trompés. Désormais pour le condominium Macron-Philippe, les ennuis commencent et les bonnes solutions se font rares. L’inévitable remaniement ministériel n’en devient que plus urgent, avec le risque de devoir récidiver après d’éventuels revers lors des printemps 2019 et 2020, et avec pour obligation de ne pas laisser les défenseurs de la sensibilité écologiste au sein de la majorité… orphelins.
Le gouvernement dans la nasse de sa propre caricature
Cette démission lourde coïncide avec les premières annonces budgétaires du Premier ministre. Or celles-ci convergent dans le sens, certes cohérent, mais décidément univoque, du soutien à l’offre, aux entreprises et, au sein des ménages, le ciblage exclusif des très aisés. Bref, pour un pouvoir qui tente de se débarrasser du sparadrap haddockien de l’accusation d’être au service des « très riches », un risque élevé de donner du grain à moudre tant aux critiques de l’ancien président Hollande qu’au film Merci Patron.
Et « en même temps », les mesures de rigueur budgétaire, liées au ralentissement de la croissance, ne touchent que les familles, les retraités, les fonctionnaires. En dehors des doutes que l’on peut nourrir sur la pertinence économique de cette orientation, alors que les comptes des entreprises sont rétablis alors que la consommation en berne ne remplit pas les carnets de commande, force est de constater que par rapport à l’électorat qui a porté Emmanuel Macron à l’Élysée – les 24 % du 1er tour comme les 66 % du second – le décalage, le déséquilibre s’accentuent.
Chacun comprend bien le pari stratégique du pouvoir d’occuper le flanc droit pour pousser Laurent Wauquiez à la faute, à la marginalisation à force de singer l’extrême droite. Mais oublier et en définitive mécontenter durablement tous les déçus de la gauche de gouvernement, les électeurs de Hollande 2012, c’est non seulement se préparer des lendemains qui déchantent aux européennes et aux municipales, mais aussi obérer les présidentielles de 2022. Dorénavant, le « en même temps » n’est plus de mise, ce qui réduit comme peau de chagrin la base électorale du macronisme, dangereusement menacée de revenir dans le petit lit originel du centrisme tendance Modem canal historique. Commencer sur les traces de Mitterrand au Panthéon pour finir sur celles de Bayrou ne doit pourtant pas constituer le rêve du 8e président de la Cinquième République.
Les oppositions sauvées des basses eaux électorales
Décidément, le pouvoir prétendu « jupitérien » s’avère bon prince avec ses opposants, à la veille du 60e anniversaire de la Constitution. L’extrême maladresse dans le traitement des violences d’un chargé de mission avait déjà offert une bouée de sauvetage inespérée à des oppositions laminées il y a un an, et toujours privées de leader incontesté, de projets et de militants. La rentrée survient avec en toile de fond un projet de réforme constitutionnelle, pourtant étendard du président de la République, mort-né, au minimum encalminé.
Le départ inopiné du ministre le plus populaire – cette vacance de M. Hulot – ouvre un nouveau boulevard à l’entreprise de démolition de l’exécutif, en particulier au profit de la France insoumise au discours de plus en plus verdi, mais aussi aux futures têtes de liste aux élections européennes, de Yannick Jadot à Benoît Hamon, au risque de la dispersion de la gauche.
Brûlante Europe
Alors, quelles perspectives pour un pouvoir affaibli dès sa première année d’exercice ? La relance par l’Europe ? C’est le pari risqué d’un Président qui avait eu le courage de brandir bien haut le drapeau étoilé lors de sa campagne, mais peine à agir concrètement face aux frilosités allemandes, aux tabous budgétaires et au désastre migratoire de la Méditerranée. Aujourd’hui, avec en toile de fond un no deal pour le Brexit et des populistes eurosceptiques au pouvoir de Rome à Budapest, le défi est risqué. Mais a-t-il vraiment le choix, alors que la réforme des retraites s’annonce comme un test de solidité autrement redoutable que les obstacles législatifs et sociaux des derniers mois ? Le pouvoir se brûle les mains, et plus question de regarder ailleurs.