Par Pierre Allorant
La force tranquille de l’abbé Deschamps
Après le baroque flamboyant d’un France-Argentine de légende, retour sur terre réussi pour l’équipe de France contre les rugueux uruguayens, avec une victoire sans bavure, rassurante par la solidité défensive et la montée en gamme des deux héros de l’Euro 2016 : Lloris l’indomptable, auteur d’une parade décisive en fin de première mi-temps, et Griezmann sur le chemin de la grande forme des fins de tournoi. Bref, même avec un Mbappé moins branché sur un moteur électrique de marque Froome, le onze tricolore assure, avec une force tranquille très mitterrandienne.
Varane, nouveau comte de Montechristo
Si l’impression de puissance ressort surtout du collectif, en une parfaite application du discours de “Mister Lucky Deschamps”, le mistral gagnant du foot français depuis plus de deux décennies, certains joueurs ont crevé l’écran contre la céleste, en premier lieu le buteur inattendu Varane, ce comte de Montechristo mondialiste qui vient, quatre années plus tard, humer le parfum de la revanche en plantant un magistral coup de tête, histoire de renvoyer aux calendes germaniques le but d’Hummels lors d’un quart de finale frustrant de 2014.
Si on commence à s’habituer à la vitesse de Mbappé, aux poumons inépuisables de Kanté, à la réussite de Griezmann, c’est bien la maîtrise du match qui vient confirmer tous les espoirs, à l’exception du stupide dérapage provoqué par l’agressivité uruguayenne, moment d’égarement qui aurait pu coûter cher à deux éléments clés, Pogba et Mbappé.
Entrée en sixième : montée sans vidéo
En définitive, sans blessé et sans suspendu, la France se retrouve en position idéale, seul favori rescapé de la campagne de Russie, et désormais promise à un affrontement réjouissant avec son voisin belge.
Cette réussite annoncée et attendue couronne pour la sixième fois l’entrée tricolore dans le cercle sélectif du dernier carré. On a du mal à se rappeler que longtemps, l’épopée suédoise de 1958 des Kopa, Piantonie, Fontaine, comme les chantait Michel Jonasz, a fait figure de magnifique exception. Désormais, quand la France se qualifie pour le mondial, et ne reste pas dans le bus du terrain d’entraînement, elle arrive le plus souvent à bon port : 1982, 1986, 1998, 2006, 2018, la France est enfin devenue une grande nation de football, dépassant symboliquement trois de ses adversaires malheureux, l’Argentine de Kempes et Maradona, l’Uruguay de Diego Forlan et les Pays-Bas de Crujff, éliminés dans un groupe qualificatif européen en définitive relevé avec la Suède, pour l’heure encore vivante et qui peut, si elle bat la perfide Albion, atteindre pour la 5ème fois ce stade des demi-finales. Dorénavant dans notre ligne de mire, il ne reste plus que le trio magique de l’histoire du football mondial : l’Italie, le Brésil et l’Allemagne.
Championnat d’Europe des nations
Précisément, les Brésiliens, une nouvelle fois, ne seront pas de la fête finale. Moins humiliante que le 7-1 à domicile s’il y a 4 ans, leur logique défaite face aux insaisissables diables rouges vient confirmer leur persistante malédiction du XXIe siècle. Pour la première fois en 2022, les Brésiliens en seront à 20 ans d’abstinence de coupe Jules Rimet, et ce sera sans doute la dernière chance pour Neymar d’accéder au Graal, de troquer roulades, râleries arbitrales et pleurs contre la coupe. Pour Thiago Silva, il ne reste plus que l’espoir d’un PSG triomphant, porté la saison prochaine par l’éclatante réussite de ses mondialistes de tous les pays.
Ainsi, par le Hazard virevoltant de la glorieuse incertitude du sport, le Brésil est resté sur le quai de Bruyne, réussissant un Lukaku de maître pour laisser les nations européennes seules face à leur destin, si tant est que la Russie et l’Angleterre soient bien pleinement du Vieux continent, entre tentation insulaire et “despotisme asiatique” poutinien.
Comme en 1934, 1966, 1982 et 2006, les quatre demi-finalistes seront européens. Reste à nos amis croates et suédois à en faire un club communautaire, en renvoyant illibéraux et brexiteurs à leur tentation de Venise. Derby des slaves et combat de la mer du Nord, un rude samedi sur les vertes pelouses russes en une période plus habituée au gazon élimé et aux fraises à la crème de Wimbledon, ce jardin à l’anglaise dont le gardien éternel est un Suisse au jeu réglé comme une Rollex.
La fête des voisins du Quiévrain avant le brunch du Brexit ? Un demi pour mettre en bière les espoirs belges
Et maintenant ? Pas question de s’arrêter en si bon chemin, même par amour Courtois pour nos charmants voisins d’outre-Quievrain. Prometteuse à l’Euro, la génération dorée des diables rouges avait explosé en plein vol face à la rouerie tactique italienne. Le programme est tracé, car comme son unité ou les Ardennes en 1940, la défense belge n’a pas semblé infranchissable, y compris pour les valeureux japonais, très proches de l’exploit en 8e de finale. A priori, il devrait y avoir de l’espoir, des buts et de la magie dans ce demi avec pression. Si, au surplus, la perspective était de retrouver en finale à Moscou les descendants de l’amiral Nelson, la mélodie serait bien douce et la sortie glorieuse pour la Grande Armée du petit généralissime bayonnais.
Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! Comme on dit ce matin du côté du Gois et de l’île de Noirmoutier, “the Sky is blue” : cela va Bardet.
P.A