D’Orléans en Mai à Orléans Métropole et OM en mai

Pierre Allorant

À l’heure où les footballeurs issus de la pépinière Orléanaise, Florent Thauvin et Germain fils le Valeureux, brillent sous le maillot olympien et mettent, avec un peu d’avance sur les échéances électorales du printemps 2019, l’Europe à la Une de notre calendrier, prenons le temps, à l’ombre des défilés officiels, de nous interroger sur la spécificité orléanaise du mois de mai. Cette originalité est redoublée, cette année par les ponts et commémorations, y compris les cinquante ans de ce printemps estudiantin et social de Mai 68, des éternels vingt ans de l’éloquent rouquin de Nanterre.

À l’heure où les footballeurs issus de la pépinière Orléanaise, Florent Thauvin et Germain fils le Valeureux, brillent sous le maillot olympien et mettent, avec un peu d’avance sur les échéances électorales du printemps 2019, l’Europe à la Une de notre calendrier, prenons le temps, à l’ombre des défilés officiels, de nous interroger sur la spécificité orléanaise du mois de mai. Cette originalité est redoublée, cette année par les ponts et commémorations, y compris les cinquante ans de ce printemps estudiantin et social de Mai 68, des éternels vingt ans de l’éloquent rouquin de Nanterre.

Alors qu’Orléans Métropole réfléchit à son projet de développement à l’horizon 2035, et qu’un Premier ministre, hier professeur associé en droit public de sa prestigieuse faculté, préside les fêtes johanniques, pourquoi cette focalisation sur le “joli mois de mai” dans la cité de Mgr Dupanloup et de Jean Zay ?

Bain de foule du 8 mai, Olivier Carré et le Premier ministre.

Mai, mois capital de l’union de la cité

L’union civique autour de Jeanne.

À Orléans, le mois de Marie est avant tout celui de Jeanne, libératrice de la cité et, encore aujourd’hui, dissipatrice de nos angoisses, elle missionnée pour bouter nos pires pulsions, comme en témoigne l’incarnation tranquille et souriante de la Pucelle par Mathilde, symbole d’une intégration qui, en dépit des difficultés et des discours fielleux, continue de fonctionner au sein de la société française.

Précisément, comme l’a bien montré Yann Rigolet, les fêtes de Jeanne d’Arc ont toujours été, en Val de Loire, le moment de célébrer l’union civique au-delà de toutes les différences de corporations de métiers, de quartiers, d’origines. La coopération des autorités religieuses, militaires et civiles l’atteste, comme la présence progressive, au cours des siècles, des différents cultes, des sociétés de pensée, des élus de toute obédience. Car, en dépit des tentatives redoublées de captation et d’instrumentalisation par l’extrême droite xénophobe, antisémite et raciste, depuis l’Action française, à Orleans, la libératrice n’appartient à personne, puisque qu’elle est partagée par tous, des catholiques traditionalistes aux membres de la loge Étienne Dolet, des évêques aux leaders radicaux Rabier, Gallouedec, Jean Zay, de Secretain à Sueur.

Si Nicolas Sarkozy, inspiré par la plume d’Henri Guaino, n’avait pas banalisé à l’excès la citation, on pourrait à bon escient évoquer ici Marc Bloch et la prise en considération, pour appréhender l’histoire de France, de l’émotion ressentie à l’occasion de la cérémonie du sacre et de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790, ce plébiscite patriotique des délégués des départements français, pour avancer que chaque 8 Mai, la place du Martroi devient la place de la Concorde nationale.

Mai 1919, mai 1945, mai 1948
Sorties de guerre et douloureux lendemains

Le corps de Jean Zay en mairie d’Orléans, avant le Panthéon.

C’est tout particulièrement le cas au lendemain des grandes crises nationales, dans ces sorties de guerre, lendemains douloureux où la communauté doit recoudre son tissu civique déchiré et rebâtir les fondements de sa vie démocratique, comme les murs et les ponts de ses villes martyrisées. Même au lendemain de glorieuses victoires, tel le 8 mai 1919, les fêtes sont aussi un moment de recueillement en mémoire des morts, un prolongement de “l’Union sacrée” d’août 1914, en présence du maréchal Foch, le si peu républicain et bientôt polémiste face au “Père la Victoire” Clemenceau. Oui, les fêtes johanniques sont une affaire trop sérieuse pour être laissée aux militaires ou au Clergé, même au prix d’une béatification.

À la Libération, si peu de semaines après le passage éclair du maréchal Pétain à Orléans, la ville panse ses plaies, “tout est ruine et deuil”. L’affiche et le programme des fêtes de mai 1946 installent le parallèle entre le chef de la France libre et la Libératrice, alors que, paradoxalement, de Gaulle a déjà quitté le pouvoir, parti vers quelque Compiègne et encore loin de Reims, voyant dans les partis du “système ” de la Quatrième République les nouveaux Bourguignons de l’Oncle Sam ou pire, de l’Armée rouge, campée à “deux étapes du tour de France” de Strasbourg.

Mais c’est sans doute en mai 1948 que l’antique Orleans, rasée par les bombardements, pressurée par l’Occupant et traumatisée par les camps et par la répression, fait véritablement son deuil des “années noires”, avec l’enterrement de Jean Zay dans sa ville, et l’adieu déchirant de ses proches et de ses amis, dont la voix est portée par les mots si justes de Roger Secrétain, le compagnon des années de jeunesse et de la bohème littéraire. On pourrait même estimer, à la suite de la belle étude de Noelline Castagnez, qu’Orléans n’achève véritablement son travail de deuil qu’avec les funérailles de son député-maire le docteur Chevallier, ministre d’un jour victime d’un drame passionnel qui fait la Une de la presse internationale en 1951.

Mai 68. La rumeur de “l’ordre règne à Orleans”

Mais bien sûr, en cette année 2018, c’est Mai 68 qui domine nos mémoires, et pas uniquement parce que Nanterre et certaines de “nos universités” sont à nouveau occupées, les locomotives à l’arrêt et les avions au sol. Très frappant dans les souvenirs régionaux, le sentiment dominant que “rien ne s’est passé à Orléans”, alors que les archives et les témoignages d’acteurs directs attestent rigoureusement du contraire. Certes, la ville laborieuse de Péguy ne s’autoproclamera jamais “la surdouée”, à l’ instar du slogan de Montpellier avec laquelle elle a pourtant en partage la glorieuse ancienneté universitaire. Orléans n’ira pas non plus, telle sa rivale et voisine du confluent de la Loire et du Cher, prétendre avoir inspiré la révolte des étudiants en sociologie de Nanterre.

Et pourtant ! Occupation d’usine rue Porte-Madeleine, bien avant toute présence étudiante sur le site, occupation de la bibliothèque universitaire sourcienne, grève massivement suivie à l’IUT et à la fac de sciences, revendications étudiantes sur les conditions de vie et d’études, sur l’autonomie et la participation, mouvement actif mené par une jeune femme, “Mlle Limousin” comme l’écrivent les rapports des RG, Orléans n’a pas à rougir d’une quelconque passivité en mai 68, en dépit d’effectifs étudiants encore très limités du fait d’une renaissance universitaire très récente au sein de “l’université d’Orléans-Tours”. Le “campus chlorophylle” de “l’Oxford français” est même le lieu de violences, non pas des étudiants du mouvement, mais de “barbouzes” venus en grande part de Paris pour mater les jeunes des résidences étudiantes de l’orée de la Sologne, avec des méthodes d’humiliation directement importées des guerres coloniales aux cendres encore fumantes. La vraie singularité des événements orléanais réside dans la drôle de connivence entre les autorités (le maire Secrétain, le recteur Gérald Antoine) et les revendications étudiantes, la “convergence des luttes” étant ici implicite pour exiger de l’Etat le respect de ses engagements et la construction en dur de bâtiments universitaires pérennes et enfin décents, aptes à désengorger la poussée des effectifs parisiens.

Le poncif du “rien ne se passe jamais à Orléans”, servira encore l’année suivante au best-seller sociologique de l’équipe d’Edgar Morin venu, en “turbo-chercheurs”, enquêter en express sur la fameuse rumeur délétère et antisémite à l’encontre des commerçants orléanais. Comme l’a analysé David Melo, Morin, muni de ses a priori, passe à côté de l’histoire et du présent de la ville : rien sur Jean Zay et les camps du Loiret, rien sur le bouleversement démographique et économique d’une ville transfigurée par la décentralisation et l’expansion, Morin n’a voulu voir que l’immuable province balzacienne et bovaryste. Décidément, au cœur de l’ancien domaine royal, rien ne peut se passer, et qui se souvient que lors de la Révolution, c’est à Orléans que siégeait le Tribunal révolutionnaire ?

Présider en mai : un rêve de Premier ministre

Connaissant déjà le campus orléanais et la région, jusqu’aux douceurs de Sancerre, gageons qu’Édouard Philippe ne tombera pas dans de telles erreurs. La cohorte des Premiers ministres venus présider les fêtes de Jeanne d’Arc lui trace la voix, de Michel Debré réquisitionné en 1960 pour ériger le château de Bolingbroke en présidence de l’université contemporaine, à Michel Rocard chahuté par l’extrême-droite, en passant par Georges Pompidou alerté par Secrétain des retards coupables pris par la puissance publique dans l’accompagnement de la montée en puissance de la nouvelle capitale régionale.

Ce défilé des prédécesseurs permettra, sans nul doute, à l’ancien maire du Havre de ne pas succomber à la tentation de tout titulaire de Matignon – rêver de présider – et de garder à l’esprit le destin des ducs d’Orléans. Si l’orléanisme a été le rêve des libéraux parlementaires, de cette droite modérée et ouverte, compatible avec l’héritage de 1789, Louis-Philippe a été renversée à l’issue d’un règne dérivant vers le seul “enrichissez-vous” pour tout viatique. Il avait vite oublié la double origine révolutionnaire de sa dynastie et de son régime, les “Trois glorieuses” et son père régicide : Philippe-Egalité. Espérons que le passage dans le Cher, puis dans le désert médical orléanais, aura convaincu le Premier ministre de la nécessité de renouer avec l’équilibre de la campagne présidentielle en pensant aussi égalité des chances, aménagement des territoires et animation du dialogue social.

À défaut, foin de Philippe-Egalite, et si le pouvoir central, en mai, ne “fait que ce qui lui plait”, le bonapartisme pourrait bien être, à nouveau, la maladie infantile de l’orléanisme.

P.A

Commentaires

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  1. Oh la la ! Vous avez probablement été victime d’une bonne insolation Monsieur Allorant. Je vais prendre du paracétamol, après avoir essayé de vous lire !

  2. Quelle belle page et instructive, de surcroît !
    Rien à redire (pour une fois !) à cet article.
    Merci Monsieur Allorant.

Les commentaires pour cet article sont clos.

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